1 Août 2018
La catastrophe, car c'en est une, tient non à la problématique de tant de nos politiciens, celle d'un changement statutaire, ce qui ne fait rire que ceux qui, très rares, qui n'ont pas ( encore ) eu à en souffrir, qu'à des causes que cet article de France-Antilles de ce jour révèle rapportant, sous la signature de Sarah Balay, les vraies raisons, irréductibles aux bavardages des incapables que nous ne connaissons que trop. ( Le Scrutateur ).
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Le 20 juillet, un rapport d'audit demandé par les services du ministère de l'Environnement, accablait le système de l'eau Guadeloupe. Toute cette semaine, France-Antilles revient sur le sujet et vous explique tout. Point par point. Aujourd'hui, on vous explique que l'eau ne coule pas, en raison d'un problème foncier, et d'une désorganisation chronique des compétences.
Ubuesque. Au fil des ans, des transferts de compétences, des changements d'opérateurs et des délégations de services publics, l'organisation de la gestion de la production et de la distribution d'eau potable en Guadeloupe est floue. C'est surtout vrai d'un point de vue foncier.
« Les autorités organisatrices guadeloupéennes exploitent des ouvrages, parfois considérables, qui ne leur appartiennent pas » , note le rapport d'audit. Conséquence : entamer des travaux sur certains ouvrages, les financer ou même intervenir sur une défaillance, revient à se poser la question : « qui doit faire ça ? » . Et la réponse : personne ne sait vraiment.
UN PROBLÈME DE FONCIER GÉNÉRALISÉ
Depuis des années, les travaux ne sont pas faits dans les règles de droit : « Certains n'ont pas été accompagnés d'expropriation ou même simplement de l'achat du foncier nécessaire au passage des ouvrages » , pointe le rapport qui note également que « les droits d'accès ont été négociés avec les propriétaires, qui ont abouti à des accords formels, mais également, souvent informels » . Autrement dit, on s'arrange entre amis. Ce qui peut avoir certains avantages d'un point de vue souplesse des opérations à l'instant T, mais reste d'une part en dehors de la loi, et d'autre part, une promesse de complexité dans le futur quand les petits arrangements ne tiendront plus. Parmi les exemples les plus marquants, le rapport indique, au niveau de la station de Belle-eau-cadeau, outre le fait que le Siaeag ne disposerait pas de la propriété totale du foncier, qu'un accord a été passé avec le propriétaire d'une bananeraie pour qu'il puisse irriguer son champ en échange du passage de la canalisation. Autre exemple édifiant, qui a défrayé la chronique dernièrement, le captage sans autorisation de Gourbeyre, sauvage donc et surtout, sans contrôle sanitaire. Et personne ne sait depuis quand cela dure.
À cela s'ajoute, selon les observateurs du rapport, une problématique d'urbanisation non maîtrisée. En clair, il s'agit d'aller alimenter en eau, des zones éloignées ou en hauteur. Ce qui revient pour les usagers à multiplier les surpresseurs, les branchements anarchiques et à subir un monstrueux déficit de pression.
Et quand on connaît la situation cadastrale de Guadeloupe, les problématiques de la possession de la terre, les constructions illégales mais ancestrales, nul doute que ce point reste fondamental. « Il nous faut éclaircir la situation juridique absolument pour pouvoir régler le problème de l'eau » , notait, à la sortie du rapport Philippe Gustin, le préfet de Guadeloupe.
LA DÉSORGANISATION GÉNÉRALE DES COMPÉTENCES
Quand, en 2016 la Générale des Eaux (Véolia) a quitté le navire, (l'entreprise assurait la production et le transport d'eau sur la zone couverte par le Siaeag, Cap Excellence et la Communauté d'Agglomération du Nord Grande-Terre, ndlr), les collectivités ont eu à affronter la reprise et surtout des revendications sociales, et un « service d'exploitation déficient » , avec des systèmes de facturations et des fichiers d'abonnés obsolètes.
Est venue se greffer sur ce bazar ambiant la réforme des collectivités modifiant ainsi les frontières, les compétences et les têtes dirigeantes des collectivités, sans que tous ces changements n'intègrent dans leur organisation la gestion de l'eau. De fait, entre les compétences des uns, les périmètres d'actions des autres, et les dissensions politiques et autres guerres d'ego, la réalité administrative ne recouvre plus la réalité technique. Résultat : l'imbroglio est insoluble et les collectivités multiplient depuis des années des comportements de cour de récréation à coup de communiqués qui rejettent la responsabilité sur l'autre.
Sans jamais s'attaquer au problème de fond, malgré les promesses électorales.
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IL L'AVAIT BIEN DIT
Il y a deux ans, alors que la Générale des Eaux quittait la gestion et l'exploitation du réseau d'eau, son directeur général expliquait dans nos colonnes les raisons de ce départ. Il portait sur le secteur de l'eau un regard sans concession, qui prend une saveur inédite au vu des révélations du rapport d'audit. Nous republions un extrait de cette interview.
« La situation de la distribution de l'eau potable en Guadeloupe n'est pas acceptable. Les réseaux et le service se dégradent alors que partout ailleurs, ça s'améliore. (...). Un tuyau a une durée de vie de 50 ans. Tous les ans, il faut en rénover 2%. En Guadeloupe, les communes n'ont rien fait pendant vingt ans. Il y a donc un retard sur 40% du réseau. Il faudrait 800 millions d'euros d'investissement pour le restaurer. Des investissements difficiles à faire aujourd'hui. D'abord parce que le prix de l'eau n'a pas augmenté depuis 2008 -ce prix était d'ailleurs 25% moins cher que celui de 2007. Ensuite, parce que les impayés explosent, en raison des coupures d'eau et de l'appauvrissement de la population. Et moins les investissements se feront, plus la situation se dégradera et moins les gens paieront. La Guadeloupe est dans une spirale mortifère. (...) »
« Il est temps d'organiser un grand débat public sur la situation. Moins de postures politiques, plus d'écoute des usagers, plus d'expertise et de réalisme sont indispensables pour construire l'avenir. Le projet de syndicat unique est sans doute trop ambitieux. Il est indispensable de sanctuariser le dis- positif de production et de transport de Belle Eau Cadeau. Ce système hydraulique admirable construit par nos anciens qui réunit tout le territoire depuis Capesterre jusqu'à la Désirade doit conserver sa cohérence de gestion. Il est urgent que tous les usagers de Capes- terre à Saint François en passant par les Abymes et Sainte Anne prennent conscience de l'importance de cette solidarité qui est la garantie de leur bon approvisionnement. La gouvernance de ce système hydraulique, actuellement confiée au Siaeag, doit être repensée pour apporter à tous l'assurance d'une répartition juste de la ressource. »
« La distribution de l'eau potable doit s'organiser autour des territoires. La communauté d'agglomération constitue la bonne échelle de gestion. La constitution des régies de Cap Excellence et de l'agglomération de Nord Grande Terre renforce l'organisation territoriale qui est déjà en place sur le territoire de la CASBT. Une réflexion devra sans doute être engagée sur le périmètre couvert par le Siaeag qui ne coïncide pas avec celui des communautés d'agglomération et qui retarde l'émergence d'une entité de taille suffisante sur le territoire de Nord Basse-Terre. »
« Enfin, il est urgent de convaincre les usagers de payer leurs factures d'eau (1). Il est profondément démagogique d'affirmer le contraire. L'eau ne reviendra pas à chaque robinet sans un effort financier partagé et compris par les consommateurs. Sachant que 30 millions de m3 sont facturés par an. En augmentant le prix du m3 d'un euro et à condition que chacun paye sa facture, l'ensemble du réseau pourrait être rénové en dix ans. »
« Il est aussi nécessaire de réfléchir à la mise en place d'un tarif unique de l'eau. La généralisation de la mensualisation des factures d'eau pour les consommateurs est aussi une demande urgente à satisfaire. Une mesure sociale que l'on doit aux familles. »
Recueilli par Sarah BALAY