14 Juillet 2018
Je viens de lire sur internet un échange, où l'un des interlocuteurs refuse d'admettre que des Africains aient pu être des acteurs à part entière de la traite d'esclaves dite « atlantique ». Seuls les Européens sont capables de ce forfait. Il présise même que lesdits Européens ne se sont d'ailleurs pas privés de massacrer les kalinas. Seuls les méchants sont capables de tels forfaits. Kalina, on le sait, est depuis quelques années le terme utilisé pour désigner les Amérindiens, nouvelle appellation de ceux qui venus d'Amérique du sud peuplaient les îles caraïbes. Procédé destiné à dissimuler que les Caraïbes avaient dévoré leurs prédécesseurs amérindiens eux aussi, et esclavagisé leurs femmes.
Le négationiste qui m'inspire cet article précise qu'il a lu une correspondance entre Africains et négocients d'Europe s'exprimant les uns et les autres en langues européennes alors « ignorées des Africains », dit-il. « Preuve apodictique que ladite correspondante a été entièrement rédigée par les blancs pour , au moins, partager le forfait.
Notons que nôtre interlocuteur semble partager le préjugé selon lequel les habitants du continent « vert » étant des sauvages ne pouvaient avoir appris des langues civilisées.
Bon garçon et désireux de croire en sa sincérité je lui conseille de lire un livre récemment paru qui pourrait l'éclairer et apaiser son angoisse existentielle : Là où les nègres sont maîtres, un port africain au temps de la traite ( Alma éditeur).
L'auteur en est RANDY J. SPARKS. Il est professeur à l’université de Tulane (Nouvelle-Orléans, Louisiane). Spécialiste de l’histoire du Sud, ses travaux portent sur l'aire atlantique de la première modernité et l’histoire religieuse de l’Amérique du Nord.
Il fait l’histoire du port d’Annamaboe, plaque tournante de la traite négrière sur la Côte-de-l’Or (actuel Ghana), au XVIIIe siècle. Randy J. Sparks fait renaître avec d’étonnantes archives ce que vécurent concrètement les hommes et les femmes de ce point névralgique du nouveau monde en train de se constituer dans l’aire atlantique. Capturés dans l’arrière-pays par le peuple fante - maître d’Annamaboe -, les esclaves font l’objet d’âpres négociations entre les Africains et les agents européens, alternant ruse, violence et cynisme commercial réciproques. ( eh oui ! ) L’action se déroule aussi à Londres et à Paris où le chef fante Corrantee envoie ses fils se former afin de mieux jouer de l’antagonisme anglo-françaiset où ils ont pu apprendre donc les langues européennes. Les Africains n'étaient pas aussi bêtes que le croient, ou feignent de le croire leurs actuels défenseurs. Elle se poursuit dans la jeune Amérique dont l’importance ne cesse de croître avec le commerce triangulaire. Le conteur qu’est aussi Randy J. Sparks fait merveille. On en jugera par les portraits croisés du fante Corrantee, chef de la ville, et de Brew, son interlocuteur anglais, principal négociant de la place, toujours mécontent de devoir transiger « là où les Nègres sont maîtres ». On suivra également, avec émotion, le destin ou les fragments de destins des esclaves dont l’historien retrouve la trace et parfois la voix derrière l’indifférence des pièces comptables et des contrats. Annamaboe est au cœur de la première mondialisation. Mais la matière première, ici, est faite de chair, de sang et de larmes sans qu’aucun des acteurs, africains ou européens, s’en émeuve.
A lire, car il n'est pas bon de s'enfermer dans l'abyssale ignorance des prétendus défenseurs de la race noire. A moins que ladite ignorance ne soit que la face affichée d'un très réel et dramatique racisme.
Le Scrutateur