19 Juin 2018
Un peu amusé par la petite insolence, somme toute innocente ( par les temps qui courent ) d'un collégien interpellant le président Macron, hier, à l'occasion d'une cérémonie commémorative, je publiai l'information sur facebook, loin d'imaginer que « l'affaire » ferait la UNE des « grands » journaux. Et l'admonestation ( je bannis l'affreux mot de recadrage ) du président à l'adresse de l'adolescent d'ailleurs confus, m'avait paru justifiée et somme toute assez gentille.
Or tout cela fait grand bruit, et même le Figaro y est allé de son article ( voir ci-dessous ).
Pour ma part, je crois que si l'école diffusait encore un savoir minimum sur le sens des mots, et de nos us et coutumes, notre enfançon eut retenu cette pensée de Blaise Pascal, qui me paraît tout-à-fait appropriée, quelles que fussent par ailleurs ses idées politiques ( ou celles de ses parents en l'occurence ). Voici ce que Pascal disait dans son « Second Discours sur la condition des grands ».
Il écrivait, il est vrai au XVII ème siècle, qui était encore un siècle de civilisation.
Le Scrutateur.
« Il y a dans le monde deux sortes de grandeurs; car il y a des grandeurs d'établissement et des grandeurs naturelles. Les grandeurs d'établissement dépendent de la volonté des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer certains états et y attacher certains respects. Les dignités et la noblesse sont de ce genre. En un pays on honore les nobles, en l'autre les roturiers, en celui-ci les aînés, en cet autre les cadets. Pourquoi cela ? Parce qu'il a plu aux hommes. La chose était indifférente avant l'établissement : après l'établissement elle devient juste, parce qu'il est injuste de la troubler.
Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indépendantes de la fantaisie des hommes, parce qu'elles consistent dans des qualités réelles et effectives de l'âme ou du corps, qui rendent l'une ou l'autre plus estimable, comme les sciences, la lumière de l'esprit, la vertu, la santé, la force.
Nous devons quelque chose à l'une et à l'autre de ces grandeurs; mais comme elles sont d'une nature différente, nous leur devons aussi différents respects. Aux grandeurs d'établissement, nous leur devons des respects d'établissement, c'est-à-dire certaines cérémonies extérieures qui doivent être néanmoins accompagnées, selon la raison, d'une reconnaissance intérieure de la justice de cet ordre, mais qui ne nous font pas concevoir quelque qualité réelle en ceux que nous honorons de cette sorte. Il faut parler aux rois à genoux; il faut se tenir debout dans la chambre des princes. C'est une sottise et une bassesse d'esprit que de leur refuser ces devoirs.
Mais pour les respects naturels qui consistent dans l'estime, nous ne les devons qu'aux grandeurs naturelles; et nous devons au contraire le mépris et l'aversion aux qualités contraires à ces grandeurs naturelles. Il n'est pas nécessaire, parce que vous êtes duc, que je vous estime; mais il est nécessaire que je vous salue. Si vous êtes duc et honnête homme, je rendrai ce que je dois à l'une et à l'autre de ces qualités. Je ne vous refuserai point les cérémonies que mérite votre qualité de duc, ni l'estime que mérite celle d'honnête homme. Mais si vous étiez duc sans être honnête homme, je vous ferais encore justice; car en vous rendant les devoirs extérieurs que l'ordre des hommes a attachés à votre naissance, je ne manquerais pas d'avoir pour vous le mépris intérieur que mériterait la bassesse de votre esprit.
Voilà en quoi consiste la justice de ces devoirs. Et l'injustice consiste à attacher les respects naturels aux grandeurs d'établissement, ou à exiger les respects d'établissement pour les grandeurs naturelles ». ( B. Pascal ).
CONTRE-POINT - De ce 18 juin au Mont-Valérien on ne retiendra qu'une bourrasque polémique.
On devait célébrer l'Histoire, on ne commente que l'anecdote. Il devait souffler une brise épique, ce 18 juin, au Mont-Valérien ; on ne retiendra qu'une bourrasque polémique. L'importance de cette fameuse vidéo d'Emmanuel Macron rappelant à un collégien qu'on ne l'appelle pas «Manu» tient à son incroyable diffusion, sur les réseaux sociaux d'abord, dans tous les médias ensuite. Elle tient encore à l'avalanche de réactions politiques suscitées, fustigeant le plus souvent l'attitude du président. Elle tient enfin à ce que le chef de l'État a donné une dimension officielle à l'affaire en se justifiant sur son compte Twitter.
«Regardez jusqu'au bout», enjoint Macron dans son tweet. Il le faut en effet pour remettre cette scène à sa juste place. Au départ, un peu de provoc d'un élève en troisième, sifflant L'Internationale et interpellant le président de la République d'un insolent «ça va Manu?», comme s'il relevait un défi lancé par des copains. Pas bien méchant, mais inconvenant. Et il faut un anti-macronisme pavlovien pour reprocher à l'interpellé de remettre les choses à leur place. Le «tu es dans une cérémonie officielle, tu m'appelles Monsieur le président de la République ou Monsieur» était à la fois légitime et nécessaire.
Admettons-le: ce jeune garçon a lâché sa phrase par maladresse, et pas par malveillance. Il a fait une boulette, pas un crime de lèse-majesté. Raison de plus pour lui rappeler les règles. Et tout comme il ne faut pas exagérer l'impolitesse de l'adolescent, il ne faut pas non plus surdimensionner la réplique du président. Plus qu'une engueulade, il s'agissait d'une utile leçon d'instruction civique. Et cette leçon présidentielle relevait de l'évidence plus que de l'arrogance.
Qui peut contester au chef de l'État de tenir à des jeunes le langage du dépassement de soi?
D'où vient alors cette bascule polémique? Du miroir déformant d'une vidéo relayée sur les réseaux sociaux. D'une certaine forme de Macron-bashing également, toute réaction du chef de l'État devenant prétexte à procès. Mais de son attitude à lui aussi. Car que voit-on sur cette scène? L'adolescent qui, juste après avoir dit «salut Manu», conscient de son impair ou moins téméraire qu'il le pensait, ajoute «pardon, Monsieur le président». Mais malgré tout, le chef de l'État choisit d'aller jusqu'au bout de sa leçon. Comme si, avec lui, faute aussitôt avouée, ne méritait pas d'être aussitôt oubliée. C'est aussi un trait de la personnalité du chef de l'État: ne pas lâcher le morceau et pousser son avantage.
Quand il corrige le général de Villiers, quand il remet Jean-Louis Borloo à sa place, quand il fait la leçon à un élève de troisième, le message est clair, net et définitif dès la première phrase. Mais il y a toujours, chez lui, cette tentation de faire long. Au risque de donner parfois le sentiment de passer de l'explication ou du rappel à l'ordre à un certain acharnement. Au risque de confondre donner une leçon et faire la leçon. C'est-à-dire de prêter le flanc au reproche d'en faire trop même quand il est normal, comme au mont Valérien, de remettre l'église au milieu du village. Là où lui se dit «un président ne doit pas laisser passer ça», d'autres en profitent pour dire «un président ne devrait pas dire ça».
Mais le «regardez jusqu'au bout» invite à voir la suite de l'échange, portant sur le brevet de fin de troisième. Macron voudrait que l'on retienne cette leçon d'excellence, cette invitation à toujours «regarder le plus loin possible», à se fixer un «idéal» plutôt qu'à rêver naïvement à «la révolution». Là encore, qui peut contester au chef de l'État de tenir à des jeunes le langage du dépassement de soi? Mais cela fait deux messages dans une même séquence. Sans doute un de trop.