2 Avril 2018
1 ) Jacques Julliard. 2 et 3 ) L'aveu d'Adolphe Hitler en 1939. 4 ) Sur les causes de la révolution française, un livre fondamental.
Il y a d'autres points sur lequel je diverge avec Jacques Julliard. Par exemple quand il écrit : « le gros livre, qui est aussi un grand livre, de Stéphane Courtois, par la richesse de sa documentation et la profondeur de ses vues, invite à repenser les rapports de la gauche et de la révolution de façon plus générale. Non, certes, la Révolution française, qui fut un mouvement de masse avec pour acteur principal le peuple selon Michelet, mais la révolution marxiste du XXe siècle, dès lors que l'acteur principal est devenu ce corps de révolutionnaires professionnels, organisés en partie selon le schéma léniniste de Que faire? ».
Or la révolution française ne fut guère le mouvement de masse dont il parle, après Michelet, cet historien du milieu du XIX ème siècle, qui fait prévaloir la légende sur les faits.
La révolution française fut l'oeuvre de clubs, les sociétés de pensée si lumineusement et méthodiquement analysées par Augustin Cochin ( voir photo ). En témoignent la résistance farouche et si impitoyablement réprimée par Robespierre et ses comparses, notamment en Vendée.
Mais l'on pardonnera à Jacques Julliard cette erreur encore répandue, tribut à son ancienne foi gaucharde. Plus importante est son adhésion à la critique du marxisme et de ses épigones par Stéphane Courtois.
Le Scrutateur.
CHRONIQUE - L'historien et essayiste* a apprécié la monumentale biographie de Lénine par Stéphane Courtois. En France, aujourd'hui encore, l'intelligentsia conserve un tempérament léniniste, argumente-t-il.
Maurice Agulhon, qui fut sans doute le meilleur connaisseur des mentalités politiques à l'époque contemporaine, professait qu'il existe en France trois camps: la droite, la gauche, la révolution. Malgré mon admiration pour ce grand historien aujourd'hui décédé, je suis demeuré longtemps sceptique, et resté fidèle, notamment dans mon livre sur les gauches, à la bipartition classique, qui intègre la révolution à l'intérieur du camp de la gauche.
Et puis un ouvrage tout récent m'a amené à y réfléchir à frais nouveaux. C'est une biographie de Lénine (1), mais le gros livre, qui est aussi un grand livre, de Stéphane Courtois, par la richesse de sa documentation et la profondeur de ses vues, invite à repenser les rapports de la gauche et de la révolution de façon plus générale. Non, certes, la Révolution française, qui fut un mouv » le gros livre, qui est aussi un grand livre, de Stéphane Courtois, par la richesse de sa documentation et la profondeur de ses vues, invite à repenser les rapports de la gauche et de la révolution de façon plus générale. Non, certes, la Révolution française, qui fut un mouvement de masse avec pour acteur principal le peuple selon Michelet, mais la révolution marxiste du XXe siècle, dès lors que l'acteur principal est devenu ce corps de révolutionnaires professionnels, organisés en partie selon le schéma léniniste de Que faire? ement de masse avec pour acteur principal le peuple selon Michelet, mais la révolution marxiste du XXe siècle, dès lors que l'acteur principal est devenu ce corps de révolutionnaires professionnels, organisés en partie selon le schéma léniniste de Que faire?
Je n'en veux retenir qu'un point, car il est le plus souvent négligé : la place de la haine dans la psychologie et l'action des révolutionnaires professionnels, à commencer par Lénine lui-même
Le propos de Stéphane Courtois que je ne saurais suivre ici dans le détail est de montrer, à travers sa biographie, qui se confond avec l'histoire de la Russie de 1870 à 1924, que Lénine a été l'inventeur du totalitarisme avant Hitler et que tout ce que Staline a perpétré en fait de crimes de masse a été d'abord imaginé et mis en pratique par Lénine lui-même. L'opposition entre le «bon» Lénine et le «méchant» Staline, imaginée par Khrouchtchev lors du XXe Congrès (1956), était destinée à faire la part du feu et à sauver le système, tout en décrochant de la terreur à grande échelle comme moyen de gouvernement pratiqué par Staline.
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Je n'en veux retenir qu'un point, car il est le plus souvent négligé, et il est pourtant décisif: la place de la haine dans la psychologie et l'action des révolutionnaires professionnels, à commencer par Lénine lui-même. Non pas la haine ordinaire que l'on rencontre à tous les carrefours de l'Histoire, mais une haine tenace, acharnée, rabique et universelle, une haine en quelque sorte fonctionnelle, et pour ainsi dire professionnelle, qui exsude de tous les écrits de Lénine, livres, brochures, articles, discours, lettres. Une haine qui n'épargne à peu près personne, ni le tsar et sa famille bien sûr, ni l'aristocratie, ni la bureaucratie, ni la paysannerie qu'il ne connaît pas et qu'il méprise, ni une grande partie de l'intelligentsia, le clergé, ni même cette classe ouvrière à l'état naissant qu'il fait mine de préférer par religion marxiste, mais dans laquelle il ne voit qu'une masse de manœuvre urbaine pour déclencher le moment venu grèves et manifestations. A-t-il jamais, demandait Simone Weil, mis les pieds dans une usine, autrement que pour haranguer les foules?
Et dans le milieu politique, le seul qu'il ait un peu connu, et encore toujours de loin, son exécration n'épargne personne, ni les membres du parti libéral (Cadets) ; ni les socialistes révolutionnaires (SR) ses grands rivaux, ni les mencheviks, ni les anarchistes et, dans sa propre fraction bolchevique, tous ceux dont il estimait qu'ils pourraient un jour faire obstacle à son appétit de pouvoir absolu.
Cette politique de la haine, qui exclut toute pitié, tout sentiment national, tout pardon, toute réconciliation n'est compatible qu'avec un seul type de régime : la dictature à perpétuité
C'est la haine à l'état pur, et non la stratégie politique, qui lui inspire, au lieu du procès à l'image de celui de Louis XVI préconisé par certains, l'ignoble massacre du tsar et de sa famille à Ekaterinbourg ; c'est elle qui jusque sur son lit de mort l'amène à persécuter un malheureux intellectuel inoffensif, c'est elle seule surtout qui inspire les premiers massacres de masse à l'aveugle: Lénine pensait que la révolution dont il rêvait avait pour condition expresse la guerre civile, qu'il appelait de ses vœux plutôt que de la redouter.
Ce qu'il faut surtout souligner, c'est que cette politique de la haine, qui exclut toute pitié, tout sentiment national, tout pardon, toute réconciliation n'est compatible qu'avec un seul type de régime: la dictature à perpétuité, comme la suite des événements l'a montré. Pis que cela ; le totalitarisme, c'est-à-dire la réunion dans la même main de tous les pouvoirs, politique, économique, policier, militaire et culturel. Dans le système totalitaire, il n'y a pas de place pour l'amour du peuple, mais seulement une haine mortelle pour tout ce qui s'interpose encore entre le révolutionnaire parvenu à ses fins et le pouvoir absolu.
Dans des pages remarquables, Stéphane Courtois montre ce que Lénine devait, en deçà de Marx, au Que faire?de Tchernychevski, dont le Rakhmetov est la préfiguration de Lénine révolutionnaire et dictateur, et peut-être surtout au nihiliste Netchaïev qui, dans son Catéchisme révolutionnaire, a eu le premier, l'idée du parti léniniste, fait de révolutionnaires professionnels, impitoyables et obsessionnels.
On n'établit pas la République universelle avec au fond du cœur la détestation du genre humain
Et maintenant revenons à la France. Il va sans dire que la haine n'est pas un sentiment propre à une certaine gauche. Elle est le fond de sauce de l'extrême droite, à l'égard de l'immigré. On l'a justement combattue, sur ce point, à telle enseigne qu'une sorte d'ouverture règne désormais dans les rangs du Front national, avec pour conséquence une véritable duplicité entre les sentiments intimes, toujours aussi virulents, et l'expression politique, presque toujours contenue. ( ce paragraphe souligné par moi, soulève de ma part une seconde réserve. Non que cette haine soit inexistante à mes yeux, mais elle ne caractérise pas la droite, ni même toute l'extrême droite ou ce qu'on appelle ainsi. M. Julliard court le risque d'être traité de haineux par les gens même qu'il pourfend à juste titre, et comme l'a déjà été traité Stéphane Courtois qu'il admire. Note du Scrutateur )
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Quant à la gauche…
Il y a au fond deux types d'hommes de gauche. Ceux qui, à l'instar d'Alain Badiou, s'accommodent de cette montagne de massacres, de crimes de masse, d'un régime policier total, comme l'inévitable prix à payer pour l'accession à la cité radieuse du communisme ; et ceux, dont je suis, qui considèrent qu'on ne saurait parvenir à une société de paix et d'égalité au prix d'un déchaînement de violence et de barbarie sans précédent dans l'histoire. La haine de l'ennemi de classe ne saurait tenir lieu d'amour du peuple, le tempérament révolutionnaire fondé sur la haine ici et en tout lieu ne saurait déboucher sur une société réconciliée. On n'établit pas la République universelle avec au fond du cœur la détestation du genre humain.
Dans la France contemporaine, où la lutte des classes a perdu de son intensité à mesure que la condition des plus pauvres s'améliorait, c'est dans l'intelligentsia que s'est réfugié le tempérament léniniste, fait d'une culture de haine et de préférence pour la violence. Au sens russe du terme, tel qu'en use Courtois, l'intelligentsia ne désigne pas l'ensemble des professions intellectuelles: c'est la partie des intellectuels hantés par le déclassement social, un prolétariat intellectuel (Trotski) persuadé qu'il lui appartient de diriger le pays et de lui donner ce dont il a besoin sans en avoir conscience ; c'est la frange radicalisée des intellectuels hostiles à tout compromis avec le régime en place, et dont Lénine fut jadis le représentant le plus achevé.
Voyez le traitement infligé à Alain Finkielkraut, coupable d'avoir défendu l'identité française : dénoncé, caricaturé, calomnié
En ce sens, il y a bel et bien en France une intelligentsia spécifique à l'intérieur du monde intellectuel. C'est elle qui singe le style léniniste, elle qui jusque dans ses écrits les plus théoriques et les plus sophistiqués exprime la haine de tous les «dominants», c'est-à-dire des pouvoirs établis ; qui, dans la controverse intellectuelle, pratique à jet continu l'insulte et la dénonciation ; y compris l'identification, dont les nazis se resserviront contre les Juifs, de l'ennemi avec les animaux les plus répugnants ; elle encore qui organise des bandes de pétitionnaires pour stigmatiser l'adversaire isolé et le vouer à la vindicte générale. Comme si beaucoup de ces intellectuels frustrés, déclassés, ratés parfois, entendaient faire oublier par un surcroît de radicalité l'ambiguïté de leur statut social.
Voyez le traitement infligé à Alain Finkielkraut, coupable d'avoir défendu l'identité française: dénoncé, caricaturé, calomnié, objet de menaces et même de violences physiques de la part de Nuit debout, qui constituait la quintessence de cette intelligentsia, il a vu la plus grande partie de ses confrères intellectuels se réfugier dans le silence. Ce qui lui arrivait, il l'avait bien cherché… Cette lâche attitude, quels que soient les jugements que l'on peut porter sur les positions de Finkielkraut, est une honte ; le courage n'est pas la qualité principale de la classe intellectuelle.
Voyez encore le ton haineux qui s'est introduit, du fait des autonomes, anarchistes et autres zadistes dans les diverses manifestations de la gauche, jadis qualifiées invariablement de bon enfant. Des mots d'ordre comme «tout le monde déteste la police» vont bien au-delà des rodomontades «antiflics» traditionnelles dans la mouvance libertaire. Le début de lynchage d'une policière à terre par une bande de «jeunes» à Champigny-sur-Marne lors du Nouvel An en est une manifestation odieuse, parmi d'autres. Comme si, veuve du marxisme, l'extrême gauche en était revenue aux errements infantiles de l'émeute de jadis.
Les simagrées néo-léninistes d'une petite intelligentsia en rupture de classe n'ont pas de portée sociale significative mais le climat de haine qu'elles entretiennent est assurément un obstacle et même un repoussoir à la reconstruction de la gauche
Voyez enfin les accents hystériques, le ton de guerre civile employé par l'islamo-gauchisme dès qu'il est question de l'islam. À propos d'un problème où le sang-froid, la modération, l'écoute des contradicteurs sont parmi les conditions expresses d'une issue heureuse, combien sont-ils à prendre la pose et pratiquer rétrospectivement un anticolonialisme résolu, dont on aurait bien eu besoin à l'époque où la question coloniale se posait?
Ce léninisme de Quartier latin n'a guère d'écho dans les couches profondes de la gauche ; il est significatif de ses difficultés à retrouver un enracinement social digne d'un grand parti aspirant au gouvernement démocratique de la société ; mais il est influent dans les médias car beaucoup de journalistes appartiennent eux-mêmes, de par leur état hybride et de par la confusion de leurs sentiments, à cette intelligentsia hors sol. On ne saurait expliquer autrement le succès médiatique de l'idée du revenu universel. Il est spontanément rejeté par le mouvement ouvrier qui y voit à juste titre une négation de toutes ses valeurs ; mais il trouve un terreau fertile dans cette intelligentsia post-industrielle, qui est à la fois la base et la limite du parti de Benoît Hamon: un parti à 6 %, et qui est appelé à le rester. Pas plus aujourd'hui qu'hier il ne faut confondre le socialisme avec la bohème.
Les mêmes tendances se retrouvent chez Jean-Luc Mélenchon, en tout cas dans un groupe parlementaire bien peu représentatif des 19,5 % de son leader à la présidentielle. Au hasard des succès locaux aux législatives, est apparu un étrange club hétéroclite, fédéré par la pratique de l'invective à jet continu et de l'exhibitionnisme médiatique, sans grand rapport avec la France populaire. S'il veut réussir une carrière politique, le problème numéro un de Jean-Luc Mélenchon, improbable croisement du Père Duchêne et de Georges Marchais, sera de savoir comment s'en débarrasser.
Les simagrées néo-léninistes d'une petite intelligentsia en rupture de classe n'ont pas de portée sociale significative mais le climat de haine qu'elles entretiennent est assurément un obstacle et même un repoussoir à la reconstruction de la gauche.
Si en effet le socialisme n'est pas cette «grande amitié» dont parle Michelet à propos de la République, il ne vaut pas un quart d'heure de peine. C'est du côté de la fraternité qu'il peut se reconstruire, comme «l'espoir qui luit comme un brin de paille dans l'étable». Jusqu'ici les philosophes se sont contentés de détester le monde, il s'agit aujourd'hui de se réconcilier avec lui.
- Comment appelle-t-on la célébration du Grand Pardon chez les juifs?
- Yom Kippour!
- Comment appelle-t-on la célébration du sacrifice du mouton par Abraham chez les musulmans?
- L' Aïd el-Kébir!
- Comment appelle-t-onla célébration de la nativité de Jésus chez les chrétiens?
- Les fêtes!
- Ces fêtes dont vous parlez, n'est-ce pas là justement ce que l'on appelait jadis Noël?
- C'est bien possible. Des textes anciens l'attestent. Mais parlons bas. Ces chrétiens s'introduisent partout.
(1 ) Lénine, l'inventeur du totalitarisme, de Stéphane Courtois, Perrin, 2017, 502 p.
Éditorialiste de l'hebdomadaire Marianne.
( II ) Interview de Stéphane Courtois par Philippe Bilger ( Video ) :
http://www.lescrutateur.com/2017/11/le-devoilement-du-communisme-par-stephane-courtois.html