12 Décembre 2017
1 ) Edouard Philippe ( au regard "en dessous" ). 2 ) Quelques figures historiques de la traîtrise. 3 ) machoires carnassières, regard fuyant : Thierry Solère. 4 ) Au collège, déjà, Judas perçait sous le Bruno.
L'actualité politique ne cesse déverser sur nous ses tombereaux quotidiens d'ordures. La vie ne se limite heureusement pas à ces pantomines écoeurantes.
Le drame est que le découragement guette les cœurs les plus honnêtes qui seraient tentés de baisser les bras et laisser le champ libre aux margoulins et aux traîtres, tel ce Xavier Bertrand qui hier encore a servi de faire-valoir à la nouvelle figure du déclin qu'est le parti LREM de qui l'on sait.
Il ne faut pas céder à la tentation de l'écoeurement. Ici au Scrutateur nous allons, heureusement avec beaucoup d'autres, poursuivre notre travail de réflexion critique de l'actualité.
Pour comprendre le « macronisme » il ne suffit pas d'écouter les chaînes dites « d'information ».
Il faut aller plus en profondeur en lisant des œuvres rigoureuses, telle ce livre de Pierre-André TAGUIEFF Macron, miracle ou mirage, dont je vous propose quelques pages d'actualité portant sur la traîtrise en politique.
Bonne lecture.
Le Scrutateur.
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De la traîtrise :
Démagogues en tout genre
Par les débats et les controverses qu’elles suscitent, les élections nationales donnent en principe aux citoyens l’occasion de réfléchir sur leurs attentes et leurs préférences. Mais le « débat d’idées » a-t-il eu lieu ? La vérité est qu’il n’y a pas eu de débats sur les questions fondamentales, évacuées ou remises à plus tard.La campgne de la présidentielle a été ponctuée de rumeurs malveillantes lancées de toutes parts, utilisant Internet comme arme de diffamation et de désinformation massives. Les enquêtes d’opinion plus ou moins contradictoires ont alimenté l’essentiel des débats portant sur l’inessentiel - le candidat X monte-t-il ou non, dépasse-t-il ou non le candidat Y ? -, animés ou commentés par des journalistes dont la culture se limite souvent à une accumulation d’anecdotes et de « petites phrases ». Cette campagne a été à l’image de l’âge des démagogues, de nouveaux professionnels de la parole persuasive au fait des nouveaux outils d’information et de communication. Derrière la « menace populiste » qu’on dénonce litaniquement sans s’interroger sur ce qu’on appelle « populisme », il y a bien sûr des mobilisations nationalistes, ou plus exactement des réactions anti-globalisation qu’il faudrait caractériser comme « néonationalistes », mais aussi et surtout la montée en popularité de leaders qui sont de purs démagogues, s’adressant au peuple pour le séduire en lui servant les histoires qu’il attend et en lui faisant croire que ses aspirations seront satisfaites. Ces démagogues de différents styles - les rugueux comme les suaves - coexistent d’une façon conflictuelle, s’apostrophent et se vilipendent, mais n’entrent jamais véritablement dans une discussion où ils se mettraient en question. Tout débat est pour eux un combat sans merci. Comme ils ne se soucient pas des contradictions existantes dans leurs propres déclarations ou leurs propositions programmatiques, ils ne voient pas pourquoi ils analyseraient et discuteraient point par point les thèses et les thèmes de leurs concurrents, qu’ils se contentent de disqualifier cyniquement par divers moyens. La démocratie d’opinion favorise la multiplication de débats sans idées ainsi que la production et la promotion d’idées sans débats.
Point donc de « débats d’idées », mais nombre de ralliements opportunistes, de changements de camps. La trahison s’est banalisée : elle apparaît comme l’une des conditions d’existence de la « macronie ». Le mouvement macroniste s’est nourri et renforcé de transfuges, petits ou grands, inconnus ou célèbres. Il faut se pencher, serait-ce brièvement, sur une figure particulière du traître : celui qui se rallie aux vainqueurs, aux maîtres de l’heure, disons le « transfuge carriériste ». Dans son livre sur « la trahison au xxe siècle », Margret Boveri propose cette définition générale : « Le traître, c’est celui qui crée l’impression qu’il est ce qu’il n’est pas [...], quitte à agir à l’encontre de cette impression19. » Le traître dit qu’il est ce qu’il n’est pas et qu’il pense ce qu’il ne pense pas, mais ce qu’il est et pense réellement se manifeste par ses actes, ceux-ci resteraient-ils dans le champ symbolique. Le traître peut bien sûr faire figure de héros dans un contexte déterminé20. Il lui suffit de se présenter comme porteur de nobles idéaux au nom desquels il a trahi son camp ou son groupe, pour devenir un transfuge. S’il a déserté et rejoint le camp d’en face, ce serait pour une cause respectable. On vante alors sa liberté ou son courage, en soulignant son refus de respecter les clivages installés. Mais il s’agit d’un héros fugace, incarnant par exemple le type équivoque et instable du « collaborateur-résistant ».
Le traître commence sa carrière en tant que tiers intermédiaire, doté d’un statut de « bi-appartenant21 » caractérisé par ses allégeances antagonistes, la poursuit en faisant violence aux relations de confiance et de loyauté qui conditionnent l’existence même de son groupe d’appartenance22, et la termine en abolissant l’ambiguïté qui faisait sa force dans la guerre idéologique23. Une fois dévoilé, le traître perd sa dangerosité, qu’il se normalise et se respectabilise en s’intégrant dans le groupe d’accueil, ou qu’il devienne aux yeux de tous un être pitoyable et méprisable. Qu’on se souvienne du traitement réservé à Eric Besson, haut responsable socialiste qui s’était rallié à Sarkozy au soir du premier tour de l’élection présidentielle de 2007, pour finir par être nommé ministre de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, en janvier 2009. Besson a payé cher son ralliement opportuniste : sa carrière politique a été brutalement stoppée. Il est trop tôt pour imaginer le destin de transfuges comme Bruno Le Maire, Gérald Darmanin ou Édouard Philippe, ces « prises de guerre » de Macron. Quant à ceux qui ont fait le choix de ne pas choisir, ceux qui sont dedans-dehors, les prétendus « constructifs » de gauche et de droite, on n’en peut dire, tristement, qu’une chose : ils sont trop lâches pour être franchement des traîtres. Dans le cas des transfuges qui se normalisent aux yeux de l’opinion, la respectabilisation est fragile, car le soupçon persiste : qui a trahi peut trahir encore. Leur destin reste ainsi indéterminé. Ce qui est sûr, c’est que le traître ne peut plus revenir en arrière, car il ne saurait totalement effacer sa faute. Il peut seulement la faire oublier, du moins tant qu’il ne fait pas publiquement l’objet d’une nouvelle suspicion. Mais on a connu des girouettes heureuses et célébrées.
On connaît la fable d’Ésope : Le pêcheur qui bat Veau. Cette fable porte sur le pêcheur en eau trouble, dont l’art est d’affoler les poissons pour qu’ils se jettent dans les mailles du filet. La morale de l’histoire est une grande leçon de politique : « Il en est ainsi dans les États : les démagogues y font d’autant mieux leurs affaires qu’ils ont jeté leur pays dans la discorde. » La stratégie du démagogue consiste à rendre insolubles les problèmes et à créer de nouveaux problèmes, puis, en accusant tel ou tel groupe social d’en être la cause, à les exploiter à son profit, en vue de prendre le pouvoir. On observe que les macroniens sont des anti-démagogues proclamés qui déclarent volontiers : « Nous ne cherchons pas à tirer parti des problèmes, nous cherchons des solutions. » On soupçonne cependant qu’une telle déclaration, si raisonnable, relève de la posture, voire de l’imposture. ».
( pages 49 à 53 du livre de Pierre-André Taguieff : Macron : miracle ou mirage ? Éditions L'Observatoire ).