19 Décembre 2017
Peut-être avez vous été blessé, un jour. Blessé jusqu’au fond de votre âme. Peut-être d’ailleurs par une de ces blessures du corps qui déstabilisent l’âme : une affreuse maladie, les suites d’un accident de voiture, de moto, de chasse. Que sais-je ? de ces drames qui rompent le cours d’une existence qui, jusqu’alors ne posait nul problème.
Je ne donnerai pas beaucoup d’autres exemples. La vie nous en fournit chaque jour, tant et tant.
Il est un livre que j’ai découvert assez tard, la quarantaine venue. Tant mieux peut-être. Sinon je l’eusse peut-être lu comme on lit trop souvent. Pour avoir lu cet auteur, Céline, que dans un certain monde littéraire il est bon de connaître. Le snobisme : un ennemi de la pensée, et de la culture.
Mais ce livre de Céline, Le voyage au bout de la nuit, m’a percuté quand il le fallait, comme un aérolithe. Quand j’étais « mûr » pour le recueillir, en être modifié.
Le Voyage est celui d’un homme du peuple, intelligent, peu « cultivé » mais intelligent, qui gobe d’abord les bobards et vit selon les apparences. Enrôlé, comme ça, sans l’avoir véritablement voulu, par un concours de circonstances dans la guerre de 14 où il découvre l’horreur. Mais il n’a pas « les clefs ».
Survivant, il se trouve embringué dans une foule d’aventures, aux USA, en Afrique, en banlieue parisienne, toujours sans queue ni tête. Il se bat. Mais sans boussole, il erre. Quelle nuit que l’existence ?
Cependant notre errant, qui n’est pas sans rappeler « l’homme de la barraque » campé par Gabriel Marcel, ne se résigne pas . Même sans boussole, il marche. Dans ce vide, il y a du « plein » qui, de lui, s’épanche, contre le mal, contre la mort.
Au fond de cet être, il y a comme une petite flamme, vacillante, toujours au bord de l’extinction, mais qui n’attend qu’un souffle pour s’élever haut et fort, en flamboyant.
« Un souffle » cela en grec ancien se dit « pneuma ». L’esprit, l’esprit Saint ? Bardamu, - c’est le nom de notre pèlerin, sans guide » Michelin, - ne sait pas trop où il va, mais y va, en se battant, se battant, se battant ; s’il n’y aura pas d’ange à l’attendre sur un chemin de Damas, son combat même, témoigne qu’il n’est pas si seul qu’il croit.
Sa longue complainte intérieure, au phrasé tragique, est la marque de l’esprit de l’Evangile, qu’il n’a pas connu, mais qui l’habite, car Damas est dans son vécu intime, dont il nous laisse l’héritage, transcrit par M. Ferdinand Céline.
Un livre à lire donc, non pas pour l’oral du bac. C’est bien plus important que cela.
J’ai choisi comme pensée du jour, un bref passage, qui m’a interpelé il y des années, au moment où je pouvais le comprendre. Il me revient souvent en mémoire. Peut-être aussi vous ouvrira-t-il des vues sur des disparus, que vous avez aimés, et entretiendrez-vous de chaque côté du miroir, le dialogue inopportunément interrompu.
Le Scrutateur.
"Après des années quand on y resonge il arrive qu'on voudrait bien les rattraper les mots qu'ils ont dits certaines gens et les gens eux-mêmes pour leur demander ce qu'ils ont voulu nous dire...Mais ils sont bien partis!...On n'avait pas assez d'instruction pour les comprendre... On voudrait savoir comme ça s'ils n'ont pas depuis changé d'avis des fois...Mais c'est bien trop tard....C'est fini!...Personne ne sait plus rien d'eux. Il faut alors continuer sa route tout seul dans la nuit. On a perdu ses vrais compagnons. On leur a pas seulement posé la bonne question, la vraie, quand il était temps. A côté d'eux on ne savait pas. Homme perdu. On est toujours en retard d'abord. Tout ça c'est des regrets qui ne font pas bouillir la marmite".
Céline.
(Voyage au bout de la nuit).