3 Décembre 2017
Gabriel Matzneff est un écrivain français d'origine russe, dont l'écriture est toute de finesse, de paradoxes, et d'ironie socratique. Cet écrivain est d'ailleurs socratique à plus d'un titre en dépit de sa religiosité d'inspiration orthodoxe ( la religion orthodoxe, inviscérée en Russie et dans les pays européens de l'est ) au moins verbalement.
Notre homme paradoxalement se déclare disciple de M. Mélenchon. On voit ce qu'il veut dire. A savoir qu'européen , il répugne à toute engloutissement des nations européennes dans le magma bruxellois, cette machine à américaniser ces civilisations millénaires ; à tout soumettre aux molochs capitalistes dont le Temple est à Wall Street. Il n'est pas le seul à penser et sentir ainsi ; Marine Le Pen, monsieur Nicolas Dupont-Aignan, et même Laurent Vauquier, du moins on voudrait l'espérer, sont sur la même longueur d'onde.
Comment lui donner tort.
Mais aussi comme on le comprend quand écoutant, un certain soir l'ineffable Jean-Luc Mélenchon, il se révulse, éclate, et crache le feu.
La Mélenche est dangereuse, et révoltante.
Matzneff donc se fend d'une tribune, dans Le Point, toute de flammes et d'éclairs, que je ne peux m'empêcher de vous offrir à lire.
Le Scrutateur.
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Par Gabriel Matzneff
Quand j'étais un petit garçon, le président de la République française se nommait Vincent Auriol. C'était un socialiste qui, dans sa jeunesse, avait été ministre des Finances dans le gouvernement du Front populaire dirigé par Léon Blum ; en outre, il était franc-maçon. Cependant, lorsque le souverain pontife de l'époque, le pape Pie XII, lui rappela que, par tradition, les chefs d'État français sont chanoines d'honneur de la basilique Saint-Jean-de Latran, ce fut avec bonne humeur et simplicité que le sympathique Vincent Auriol accepta ce titre. Je me rappelle fort bien une interview qui m'avait enchanté (j'étais un bambin qui vivait parmi les chevaux, avait appris à monter à cheval avant de savoir monter à bicyclette) où le président Auriol expliquait aux journalistes que, désormais, il était autorisé à entrer à cheval à Saint-Jean-de-Latran mais qu'il n'utiliserait ce privilège que de façon exceptionnelle.
J'ajoute que, lorsque le futur Jean XXIII fut nommé cardinal par Pie XII, étant alors nonce apostolique à Paris, il avait tenu à ce que ce fût Vincent Auriol qui lui remît sa barrette. Il existe de nombreuses photos représentant le nouveau cardinal italien agenouillé devant le président de la République française socialiste et franc-maçon. Photos émouvantes, car elles expriment à merveille la paix civile, la reconnaissance par la République laïque des liens anciens qui unissent la France à l'Église catholique, la réciproque et amicale déférence.
Ceux qui me font l'honneur de me lire savent que, depuis l'élection présidentielle de 2012, je suis un fidèle partisan de Jean-Luc Mélenchon ; que, tant dans certains de mes livres que dans les colonnes du Point, j'ai à maintes reprises déroulé les raisons – qui touchent à la politique étrangère de la France, mais aussi à des sujets de politique intérieure tels que le droit du sol et le suicide assisté – de mon soutien au président de La France insoumise.
Je n'en suis que plus libre pour dire la tristesse, l'effarement où m'ont précipité ces jours derniers les crises véritablement hystériques qu'a piquées Jean-Luc Mélenchon à propos de l'acceptation par le président Emmanuel Macron de cette charge de chanoine honoraire de Saint-Jean-de-Latran, à propos du drapeau européen dont les étoiles rappelleraient, si j'ai bien compris, celles qui ornent le voile de la Vierge Marie.
Je n'admets pas qu'un homme aussi lettré que Mélenchon, un humaniste, et en outre un homme de son âge (il serait hypokhâgneux au lycée Henri-IV et aurait à peine fêté ses dix-huit ans, ce serait autre chose), pète à ce point les plombs, s'abandonne à des invectives aussi grossières, sans le moindre égard pour les personnes (avec sa permission, je préfère « les personnes » à « les gens ») qu'il peut ainsi blesser, peiner, sans le moindre respect pour notre commun et séculaire patrimoine.
À la fin du XIXe siècle, disons en 1897, les excès anti-catholiques étaient compréhensibles, et des esprits progressistes pouvaient légitimement se figurer qu'athéisme et lumières, matérialisme et progrès étaient des termes synonymes ; que tous les maux, toutes les violences venaient de la foi en Dieu ; qu'affaiblir l'Église équivalait à établir le règne de la tolérance et de la bénignité.
Jean-Luc Mélenchon ne témoigne pas un intérêt passionné pour ce qui s'est passé avant 1789. Je le déplore, mais c'est son droit. En revanche, je ne peux imaginer un instant qu'il soit ignorant de ce qui s'est déroulé dans notre magnifique Europe au XXe siècle ; qu'il puisse ignorer que les deux totalitarismes les plus féroces que nous ayons connus au siècle dernier, le léniniste en Russie et le nazisme en Allemagne, furent des régimes résolument anti-chrétiens qui persécutèrent l'Église, l'un pendant soixante-dix ans, l'autre pendant plus de dix ans, qui firent tout ce qu'ils purent pour arracher la foi en Christ du cœur des peuples qu'ils subjuguaient. Cela, je le sais, nous le savons tous, et Jean-Luc Mélenchon le sait, lui aussi. C'est pourquoi sa façon grossière d'interpeller le président de la République de l'État en le traitant de « curé du pape », sa façon grossière d'éructer qu'il n'en a rien à foutre de la Sainte Vierge, franchement, ne lui font pas honneur.
L'autre soir, à l'émission de Léa Salamé sur France 2, Jean-Luc Mélenchon fut brillant, pugnace, en particulier lorsqu'il développa ce que nous sommes très nombreux à penser du catastrophique impérialisme américain ; mais, lorsqu'il s'est soudain abandonné à ses imbéciles invectives anti-chrétiennes, j'ai rougi, j'ai eu honte.