Par Pascal Bruckner, romancier et essayiste
Une partie du succès d’Emmanuel Macron ne vient pas seulement de son talent et de son charisme, indéniables, mais d’un flou habilement entretenu. Chez lui, ce n’est pas le futur qui est désirable comme chez Benoît Hamon, c’est le candidat lui-même qui s’offre en objet de toutes les convoitises.
D’un mot, Macron installe l’espérance follement séduisante d’un monde réconcilié où le mal ne serait qu’un malentendu, où le loup pourrait fraterniser avec l’agneau, où les familles françaises, longtemps désunies, se rapprocheraient enfin grâce au rayonnement de leur dirigeant.
La première confusion est celle, classique, qui déduit la violence de l’économique : le leader d’En marche ! analyse le terrorisme comme le produit de la relégation sociale, du chômage et du repli national propres à la France. Il est proche en cela d’un Thomas Piketty, expliquant lui aussi les attentats du Bataclan par « la poudrière inégalitaire moyen-orientale que nous avons largement contribué à créer » (Le Monde des 22 et 23 novembre 2015).
Marxiste, libérale ou sociale-démocrate, cette grille de lecture est cependant incapable de penser le fait religieux et reste étroitement réductrice. Que des hommes et des femmes soient prêts à mourir pour leur Dieu et leur salut dépasse notre entendement d’Occidentaux assujettis à la logique marchande. Non seulement la haine est sans pourquoi, mais la justifier par la pauvreté ou les pannes de la croissance traduit une incapacité à la concevoir, donc à la combattre.
Allergie aux choix
Sans compter que la plupart des djihadistes viennent des milieux aisés, comme l’ont montré maints rapports dont celui de la Banque mondiale d’octobre 2016 : il révélait que la majorité des cadres de l’organisation Etat islamique sont diplômés et que la proportion de candidats au suicide augmente avec l’éducation. La pauvreté n’est en rien un facteur de radicalisation. S’il faut attaquer sans relâche la déshérence et le sous-emploi des quartiers dits sensibles, reproduire la litanie des damnés de la terre se faisant sauter pour échapper au désespoir est une illusion funeste.
Macron rêve également de raccommoder la droite et la gauche, ce qui est la condition de toute campagne électorale réussie. Mais on ne sait jamais s’il s’agit chez lui d’une synthèse nouvelle ou d’une façon d’éluder ce dualisme. Cela le pousse à vouloir rassembler les contraires, les partisans du mariage pour tous et leurs adversaires, les tenants du crime colonial comme « crime contre l’humanité » et les détracteurs de la repentance.
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Avec lui, le « burkini » et le topless, les patrons et les salariés, l’ubérisation et la protection sociale, l’échec scolaire et la poursuite du projet pédagogique pourront cohabiter en bonne intelligence. Il n’y a plus de tensions inexpiables car le leader bien aimé les absorbe dans sa personne. Cette allergie aux choix, toujours magnifique dans les discours, est difficile à soutenir dans l’action. Un homme politique ne peut se soustraire longtemps au principe de non-contradiction. Vient un moment où il lui faut prendre parti et donc sacrifier.
Serments brûlants
Autre amalgame : Macron confond le goût du pouvoir, naturel à tous les candidats, avec le pouvoir de l’amour. Il veut être élu mais il veut d’abord être aimé, par un acte de reddition inconditionnel, et plus qu’aimé, préféré à tous. Il commence donc, en bon séducteur, par nous dire qu’il nous aime. Cette déclaration enveloppe toute sa personne d’une sorte de rayonnement mystique, lui confère la garantie de l’adulation.
Mais les « Je vous aime » qu’il lance, extatique, à ses partisans, dans ses meetings, tels ceux du chanteur à la foule, disent surtout : je m’adore à travers vous. Intense orgasme que l’idolâtrie de cette multitude à son endroit. La voix qui se brise sous le coup de l’émotion, les aigus qui défaillent sont le symptôme de cette jouissance trop forte face à un public qui entre à son tour en pâmoison. Quand le raisonnement faiblit, le candidat, ivre de lui-même, doit multiplier les déclarations enflammées, les serments brûlants. La langue divague volontiers quand la chair et l’esprit exultent, elle promet, jure à tous vents.
La campagne ne peut se dérouler que dans la fièvre permanente, même lorsqu’il s’agit d’alliances aussi opportunistes que celle nouée, par exemple, avec François Bayrou. ( http://www.lescrutateur.com/2017/02/bayrou-rallie-macron-le-crepuscule-du-president-du-modem-et-un-mauvais-coup-porte-a-la-france.html?utm_source=flux&utm_medium=flux-rss&utm_campaign=politics Lien ajouté par Le Scrutateur ). Les yeux brillent, les accolades se multiplient, on se touche, on se félicite, on se cajole : on est loin du ralliement de Yannick Jadot à Benoît Hamon, aussi gai qu’un plénum du Parti communiste d’Union soviétique au temps de la guerre froide.
Ethylisme sentimental
Macron insuffle de la ferveur à ses moindres déplacements, ses moindres remarques. Il fait penser à la candidate socialiste à la présidentielle de 2007, Ségolène Royal, terminant un meeting au stade Charléty par cette proposition évangélique : « Aimons-nous les uns les autres » (Aimons-nous les uns sur les autres eût déjà été plus proche de l’esprit soixante-huitard mais on en est loin désormais).
Pour mémoire, la phrase d’adieu de François Mitterrand en 1995 : « Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas », avait une autre tenue et relevait d’une époque différente, celle de la réserve. La distance était alors la condition de l’exercice du pouvoir. Désormais, on n’aspire plus à diriger un peuple mais à le bercer pour se tenir avec lui dans un rapport fusionnel d’intimité, de séduction. On cède sans retenue à l’éthylisme sentimental.
Emmanuel Macron se vante d’être un homme « bienveillant ». La formule sent le sophisme à plein nez, car il ne manque pas, dès qu’il le peut, d’égratigner méchamment ses adversaires et c’est de bonne guerre. La bienveillance en politique n’est qu’une qualité négative. C’est une disposition qu’on attend d’un homme de foi, pasteur, prêtre, imam, rabbin, s’adressant à ses fidèles sur les fins dernières, les consolant dans les épreuves et les maladies, pas d’un homme politique qui devra tenir bon dans les tempêtes.
Quand Hollande et Valls ont fait face à trois attentats majeurs en 2015 et 2016, on n’a pas attendu d’eux de l’indulgence mais de la fermeté, de la détermination dans la traque des tueurs. On a espéré de leur part les grands mots capables de consoler les grandes douleurs que traversait la nation. Il y a toujours un danger à vouloir être aimé quand on concourt à la fonction suprême. Il faut accepter au contraire d’être violemment détesté par ses ennemis et fortement soutenu par son propre camp.
Banquier saisi par la foi
Enfin, Emmanuel Macron entretient une confusion préoccupante du spirituel et du temporel : il s’est réclamé de Jeanne d’Arc sautant sur son destrier pour bouter l’Anglais hors du sol français et il a reconnu en lui-même une dimension christique. L’alliance de Jésus, de la politique et du business marche très bien outre-Atlantique, où les candidats multiplient signes de croix, serments sur la Bible et invocations au Très Haut pendant leurs campagnes.
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Mais la France est rétive à ces mariages contre-nature. Nous avons appris depuis longtemps de notre tradition à ne pas confondre ce qui revient à Dieu et ce qui revient à César. Mieux vaut à un moment donné redescendre sur terre au risque d’apparaître comme un simple banquier saisi par la foi comme Monsieur Le Trouhadec l’était par la débauche chez Jules Romains.
A mesure que les échéances se rapprochent, l’illusion se dissipe bien sûr. Il faut commencer par chiffrer le programme, entrer dans les détails triviaux, se soumettre peu ou prou au principe de réalité. Fini les envolées lyriques, les poses de télévangéliste inspiré. Les deux grands défis régaliens auxquels nous sommes confrontés, la montée de l’islamisme et du néopopulisme, requièrent une trempe dont manque, pour l’instant, notre Peter Pan national.
S’il doit arriver au second tour, face à la candidate du FN, comme le prédisent les sondages, Emmanuel Macron devra changer son costume de prédicateur pour celui d’un soldat de la démocratie. Avis à ses supporteurs : il faut muscler le chérubin d’En marche ! sinon Marine va le dévorer tout cru.
Pascal Bruckner est l’auteur de « Un racisme imaginaire. La Querelle de l’islamophobie » (Grasset-Fasquelle, 272 pages, 19 euros).