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10 Décembre 2016
Les noms des rues de nos villes sont censés nous enseigner de grands modèles, dont les vies, offertes à la méditation des jeunes générations, mériteraient d'être imitées. Ce n'est évidemment pas toujours le cas.
Auguste Bébian fait partie des vrais et beaux modèles. Mais qui sait, aujourd'hui, qui fut ce personnage,
L'article qui suit est l'un des chapitres du livre paru en 1935, écrit à l'occasion des fêtes du tricentenaire du rattachement de la Guadeloupe à la France.
L'auteur en était M. Timothée Oriol, alors professeur au lycée Carnot de Pointe-à-Pitre.
Je fais suivre cet article d'un lien avec les travaux récents d'un jeune universitaire sourd-muet sur la vie et l'oeuvre d'A. Bébian/
Le Scrutateur.
( I ) « Allez et enseignez... »
Roch Ambroise Auguste de Bébian naquit à la Pointe-à-Pitre, la nuit du 4 août 1789. Beau sujet de dissertation pour les amateurs d'astrologie ou pour les esprits qui se plaisent à attribuer aux dates de naissance une signification symbolique !
Au moment même où la noblesse de France faisait solennellement l'abandon de ses privilèges, et communiait dans un fraternel élan d'enthousiasme avec les Représentants du Tiers, naissait, dans une famille noble de province, établie à la Guadeloupe, un enfant dont la vie devait être consacrée à l'éducation des fils du peuple et des infirmes. Le grand titre de gloire de cet admirable philanthrope, c'est l'œuvre qu'il accomplit en faveur des sourds-muets, et l'effort qu'il entreprit pour donner un peu de bonheur aux misérables reclus du silence, victimes de la plus triste des inégalités : celle de la connaissance.
Bébian était le fils d'un commerçant originaire de Toulouse, qui était venu s'établir aux Antilles avec un de ses frères. Il fut envoyé en France, et confié à l'abbé Sicard. Celui-ci dirigeait l'Institution des Sourds-Muets à Paris, reprenant l'œuvre de l'abbé de l'Epée, mort en cette même année 1789, à l'âge de 77 ans. L'abbé Sicard, homme aussi compétent et aussi dévoué que son illustre prédécesseur, ne fut pas trop inquiété pendant la tourmente révolutionnaire, en raison du caractère éminemment philanthropique de l'œuvre qu'il dirigeait. Il présenta le jeune Bébian aux fonts baptismaux, et le mit en pension chez l'abbé Jouffret, plus tard directeur de l'Ecole impériale des Sourds-Muets de Saint-Pétersbourg. Bébian entra ensuite au Lycée Charlemagne. Brillant sujet, il fut lauréat du concours général en 1805 et en 1807.
Lorsque ses études furent terminées, Bébian s'installa, pour quelque temps, chez l'abbé Sicard, son parrain. Il s'intéressa, d'abord par simple curiosité puis avec une véritable passion, à l'œuvre et aux travaux de ce dernier. L'intérêt croissant qu'il portait à l'éducation des enfants atteints de surdi-mutité, et la bonté naturelle de son jeune cœur le décidèrent à suivre les traces de son-parrain. Il fréquenta les classes et s'attacha au plus remarquable des élèves de Sicard, Laurent Clerc, sourd-muet, qui fut d'abord répétiteur à l'institution fondée par l'abbé de l'Epée, et devint ensuite chef d'une institution de sourds-muets à Hartford, dans le Connecticut (Etats-Unis).
« Bébian fut successivement professeur et censeur des études à l'institution de Paris. Comme il avait fait une analyse approfondie du langage des signes, il corrigea ce qui lui parût inexact, ou vicieux, et, dès ce moment, les gestes acquirent une correction et une étendue qui répondaient à tous les besoins de l'intelligence des sourds-muets. » (Martin etcheverry. Dictionnaire de Pédagogie pratique.)
C'est Bébian qui perfectionna l'alphabet par signes, tel qu'il est encore usité aujourd'hui ( écrit en 1935. Note du Scrutateur ) par les sourds-muets, et malgré l'emploi, de plus en plus généralisé, de la méthode orale par imitation.
En 1817, il publie son premier ouvrage : Essai sur les sourds-muets et sur le langage naturel, ou introduction à une classification naturelle des idées avec leurs signes propres.
En 1819, un concours ayant été ouvert par la Société royale académique des Sciences de Paris pour l'éloge de l'abbé de l'Epée, Bébian remporte le premier prix.
Après la mort de l'abbé Sicard (1822), Bébian rédige un manuel d'enseignement pratique des sourds-muets. Ce travail, adopté par le Conseil d'Administration, en 1827, fixa les vrais principes de l'enseignement à l'institution de l'abbé de l'Epée.
A la suite d'une discussion, il quitte l'enseignement, et rédige un certain nombre de traités pédagogiques : Journal de l'instruction des sourds-muets et des aveugles; — Lecture instantanée, ou méthode pour apprendre à lire sans épeler ; — Mimographie ou essai d'écriture mimique; — L'éducation des sourds-muets mise à la portée des instituteurs primaires et de tous les parents ; — Méthode nouvelle pour apprendre les langues sans traduction.
.On offrit à Bébian la direction de l'institution impériale des Sourds-Muets de Saint-Pétersbourg, et celle de l'Institution de New- York, en remplacement de Laurent-Clerc. Il refusa et fonda, en 1826, une école de sourds-muets à Paris, boulevard Montparnasse. Puis il fut envoyé à Rouen en 1832. «Après le départ de l'abbé IIuby, élève de l'abbé de l'Epée et directeur d'une école de sourds-muets à Rouen, le Maire de cette ville pria l'Administration supérieure de désigner un maître capable de diriger cette école. Bébian fut désigné. Mais, en 1834, l'état de sa santé l'obligea à quitter ce poste. »
C'est alors qu'il partit pour la Pointe-à-Pitre avec sa famille, dans l'espoir de rétablir sa santé au pays natal.
Il fonda, dans la maison Anquetil, au n° 60 de la rue de la, Loi, ( actuellement rue Bébian. Note du Scrutateur ) une « Ecole Mutuelle libre » qui devint rapidement florissante. L'historien Jules Ballet, qui a fréquenté cet établissement, rapporte que Bébian avait réuni un effectif de près de trois cents élèves blancs et de couleur.
En février 1837, l'Administration lui confia la succession de M. Asseline, directeur de l'Ecole mutuelle de Basse-Terre, décédé. Un arrêté du 15 février prescrivit le transfert immédiat à la Pointe-à-Pitre, de l'Ecole d'Enseignement mutuel du chef-lieu, avec Bébian comme directeur, et M. Amédée Létang.
« A la suite du transfert de l'école mutuelle de la Basse-Terre à la Pointe-à-Pitre, le traitement de son directeur fut porté de 4.000 à 5.000 francs. Ses frais d'installation, ainsi que l'augmentation des dépenses résultant du transfert (traitement du personnel, loyer de la maison d'école) furent imputés sur le budget de la Colonie, exercice 1838, article 5 : diverses dépenses (dépenses éventuelles).
« L'école fut installée au n° 60 de la rue de la Loi, aujourd'hui rue Bébian.
« Un arrêté, du 22 février 1838, plaça auprès de cette école un comité de surveillance, composé du maire ou de l'un de ses adjoints, président ; du curé et de trois conseillers municipaux.
« La surveillance du comité s'appliquait à la direction donnée à l'enseignement sous le rapport moral et religieux, à la salubrité de l'école et au maintien de la discipline, sans préjudice des attributions du maire en matière de police municipale.
« L'école mutuelle publique de la Pointe-à-Pitre ne vécut que quelques mois ; elle disparut à son tour devant l'enseignement congréganiste. Elle a laissé une profonde impression dans la Colonie. M. Bébian et son collaborateur furent remplacés par les frères Marcellin, Arthur et Reyel.
« L'école mutuelle publique laïque ne reparaîtra à la Guadeloupe qu'en 1864, date de la laïcisation de l'école publique du Marigot (Saint-Martin), dont la direction fut confiée à M. Amédée Létang. Ce maître porta, dans la dépendance, la méthode qu'il avait apprise comme moniteur de MM. Asseline et Bébian et qui, à cette époque, était chaudement recommandée par l'Administration. . « Aussi entend-on encore à Saint-Martin des chants scolaires composés, il y a près d'un siècle, pour les écoles mutuelles de France. » (E. ciiampon.)
Bébian, affligé par de cruelles épreuves (à un mois d'intervalle, en 1836, il perdit son père et son fils âgé de 10 ans), fut emporté à son tour le 24 février 1839, laissant dans une profonde détresse sa veuve, petite-fille de Barnave ; elle restait sans appui et sans fortune.
« Jusqu'à ses derniers moments, Bébian enseigna les petits et humbles dans la misérable masure qui avait abrité la première école publique de la Pointe-à-Pitre.
« -Comme Lancaster, il mourut abandonné, obscur et pauvre, mais honoré, comblé dans la presse métropolitaine des hommages que méritaient ses vertus. »
En mémoire de cet homme de bien, on a donné son nom à la rue de la Loi où Bébian fonda l'Enseignement public à la Guadeloupe.
Timothée Oriol.
( professeur au lycée Carnot de Pointe-à-Pitre.)
( II ) Une thèse sur le Guadeloupéen Auguste Bébian, défenseur de la langue des signes