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Le Scrutateur.

Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.

Habiter avec soi-même, par Marie-Madeleine Davy.

1 ) Madame Marie-Madeleine DAVY. 2 et 3 ) Le désert intérieur.
1 ) Madame Marie-Madeleine DAVY. 2 et 3 ) Le désert intérieur.
1 ) Madame Marie-Madeleine DAVY. 2 et 3 ) Le désert intérieur.

1 ) Madame Marie-Madeleine DAVY. 2 et 3 ) Le désert intérieur.

J'ai connu, intellectuellement, Marie-Madeleine Davy en 1992, par le lecture de son livre Le désert intérieur ( Albin-Michel ). Je reprends contact avec elle ce jour, grâce à un ami Guadeloupéen de Paris, artiste et comédien de profession, qui me communique le texte d'une conférence, déjà ancienne de madame Davy, prononcée en 1978.

Le Scrutateur est d'abord un blog politique. Mais que serait la politique si la société où elle s'applique perdait tout intérêt pour la réflexion, la spiritualité, la philosophie, les sciences, la religion, les arts,etc.

La décadence actuelle dans ces différents domaines est responsable de la perte du tonus spirituel des hommes et des femmes, lequel explique le désolant spectacle de la vie politique, par exemple aux USA, que nous avons hélas le tort en Europe, et en France de vouloir imiter.

Ce que voudrait le Scrutateur, c'est de contribuer, par des articles sortant de la débilité et du conformisme ambiant, au maintien de la santé publique.

D'où cet article de Madame M-M Davy, de lecture aisée ( pas de vocabulaire abstrus ), mais demandant un effort de tension pour en saisir le sens profond.

C'est une véritable initiation à la sagesse, par une méditation ordonnée et rigoureuse qu'elle nous propose.

Rangez le texte parmi vos favoris, pour le relire, lentement, comme il convient pour un exercice spirituel.

 

Le Scrutateur.

 

Habiter avec soi-même

 

( http://www.revue3emillenaire.com/blog/habiter-avec-soi-meme-par-marie-madeleine-davy/ )

 

(Revue Teilhard de Chardin. No 74. Juillet 1978)

Exposé fait à Bruxelles en décembre 1977. Il a été repris du magnétophone.

On peut se demander comment l’homme répond au mystère de son intériorité, comment il plonge dans le mystère du dedans.

Projeté au dehors, exilé de lui-même, il éprouve une immense nostalgie. Longtemps voilée, cette nostalgie de beauté, de vérité et d’infini se révèle à lui. Dans l’agitation de sa vie, de ce qu’il fait, de ce qu’il pense, dans son instabilité, qui le rendent comparable à une épave entraînée, constamment ballotée par les flots, il ressent le besoin de quelque chose d’immobile, de permanent, de vrai. Lui qui vit dans la mobilité, l’impermanence, la facticité, les obstructions de toutes sortes, les amitiés qui se brisent, s’interroge. Quels sont cette impermanence des choses, les chemins enténébrés où il s’égare et qui le retiennent prisonnier ? Comment continuer à vivre dans un monde où les amis d’aujourd’hui seront peut-être les ennemis de demain ? Comment parvenir et se tenir dans le secret d’un amour sans faille ? Comment faire éclater au-dehors la transparence de cet amour sans faille ? Comment s’affranchir d’un monde où l’on se sent en quelque sorte morcelé, divisé, déchiqueté, dépecé par des êtres semblables à des rapaces ? Comment échapper à la morsure des événements ? Comment découvrir la voie qui mène vers l’intériorité ?

L’homme comprend alors qu’il a une dimension à atteindre, une dimension qui n’appartient pas au monde, qui se trouve derrière le monde et qui en est coupée.

Avant de parvenir à cette dimension intérieure, avant de trouver ce que maître Eckhart appelle « le fond du fond », quelle va être sa démarche ?

L’homme commence par découvrir qu’il est un petit monde, un microcosme en rapport constant et total avec le macrocosme dans lequel il baigne.

Lui qui s’est senti écrasé par sa solitude, il retrouve sa parenté avec l’univers. Ne porte-t-il pas en lui l’élément pierre, l’élément végétal, l’élément animal aussi bien que l’élément humain ? La difficulté alors n’est pas d’aimer les pierres, les végétaux, les animaux, les hommes, elle réside dans les difficultés inhérentes à la découverte d’un autre niveau situé en soi-même.

Désormais les pierres, les végétaux, les animaux, les hommes, il va les regarder dans leur beauté comme un reflet du visage divin, au sens de saint Augustin. Celui-ci, en effet, regardait les fleurs et louait leur beauté. Les fleurs lui parlaient. Que lui disaient-elles ? Elles lui disaient : « Ne t’attache pas à nous ! Attache-toi à celui qui nous a créées »…

Un texte sacré dit que lorsque l’amour éclate au-dehors de l’homme, envers la nature, celle-ci le ressent. « Les montagnes bondissent, raconte la Bible, les collines sautent de joie. » Et l’homme ? Il participe à la joie cosmique. Il est relié à elle par « le fil d’or ».

Mais il y a une ombre en l’homme : il ne peut guère étreindre l’univers.

Alors, il lui faut partir à la découverte de ce qui est permanent : Dieu.

Avant de naître au-dedans, l’homme s’inquiète et se demande si Dieu existe. Il sait qu’il n’y a aucune preuve de l’existence de Dieu, sinon celle que son cœur peut avoir.

Il comprend aussi qu’il y a dans « l’économie divine » pour employer une expression chère à Jean Daniélou, comme une progression.

Dieu ne se manifeste pas n’importe où. Il dépend de la capacité de l’homme à le recevoir.

Pourquoi ne puis-je rien dire de la déité ? Parce qu’on ne nomme pas l’ineffable. Si je parle de la déité, je la sépare de moi. Il y a elle. Il y a moi.

L’homme intérieur comprend qu’il est porteur d’absolu. La lumière luit dans les ténèbres. S’il est capable de la recevoir, il sortira de sa nuit pour connaître les « luminosités germinales » qui luisent dans l’obscurité de l’inconscient.

Je vais donc partir à la recherche de mon intériorité.

Comme dans les Écritures, je demanderai : « Avez-vous vu mon Bien-Aimé ? » Je questionnerai les gardes. Ils me diront qu’ils ne l’ont pas rencontré.

Je croirai quelquefois qu’on frappe à la porte de mon cœur. J’entendrai une voix : « Ouvre-moi, mon ami. Ouvre-moi ! » J’ouvrirai la porte et il n’y aura rien, personne!

Où irai-je chercher la déité ? Me rendrai-je en Inde, au Japon ? Demanderai-je conseil à un rabbin, à un gourou, à un maître zen, à un prêtre, à un pasteur ? Pourquoi pas!

Cependant, aucun être au monde, le plus grand sage ou le plus grand saint, ne pourra faire le chemin à ma place, ne pourra faire l’expérience pour moi.

Il arrivera un moment où, ayant cherché à droite et à gauche, devant et derrière moi, je constaterai : « Il n’y a donc aucun endroit où je puisse trouver la déité, l’authenticité, la beauté, l’immuabilité, l’immobilité ?… »

Je poserai la question. Longtemps, je n’obtiendrai pas de réponse.

Il se peut alors qu’une épreuve, une maladie, la proximité de la mort, la perte d’un être cher, me fasse réfléchir. Je comprendrai soudain que ce n’est pas au-dehors de moi que je trouverai, mais au-dedans. Lorsque j’aurai compris cela, que ferai-je?

Pour commencer, je saurai qu’il me faut me dépouiller. Or, si je me regarde, je constate la pluralité de mes moi, de ces moi qui s’opposent, s’affirment, se démentent, s’imbriquent et se dirigent dans tous les sens.

Je possède des moi de rechange. Il y a le moi qui aime et celui qui hait, le moi généreux et le moi jaloux, le moi moutonnier et le moi qui se révolte.

Prendre conscience de cette pluralité est un motif de détresse profonde.

Une chose qu’il faut également savoir c’est que toute créature, homme ou femme, possède l’élément Ève.

Bernard de Clairvaux dira à ses moines : « Faites attention à votre Ève ».

Ève, c’est la connaissance sensible, celle par le toucher, la vision, l’ouïe. Or, mes sens me trompent. Faut-il dès lors que je renonce à ces perceptions, que je me calfeutre en quelque sorte, que je muraille mon œil, ma bouche, mon oreille ?

Non, mais il faut que je sois lucide et que je sache que la plupart du temps, mes yeux se contentent de voir le laid, alors qu’ils devraient être amoureux du beau, que mes oreilles se délectent des médisances et des calomnies, que ma bouche se prête à des paroles de dénigrement, d’indiscrétion, d’envie.

Oui, nous nous empressons trop de croire le mal. Nous lui donnons une importance énorme. Nous lui élevons une statue ! L’homme aime se vautrer dans les déchets.

Il faut que je comprenne que mes sens extérieurs sont minables et pauvres, qu’ils n’ont ni lucidité, ni clarté, ni beauté.

Je tenterai alors de revenir à ce qui m’habite, qui est mon véritable pilote, qui se tient dans cette arche sacrée que Dante nomme secretissima camera.

En m’ouvrant à l’intériorité, je m’ouvre à moi-même et je trouve mon maître. Pour m’aider à choisir un chemin vers l’intériorité, j’ai à bien des égards l’enseignement, la nourriture, des Écritures sacrées.

J’interrogerai donc les textes sacrés.

« Le royaume des Cieux est au-dedans de vous. »

« Le royaume des Cieux est semblable à un trésor caché. »

Le royaume est donc devant et derrière moi. Il est à gauche, il est à droite, il est dans mon cœur.

Qui a trouvé son trésor caché est devenu son propre ciel, ses sens sont purifiés. Il lui est désormais possible de se tenir dans la plénitude et dans la permanence.

Je comprends enfin que je pourrai me trouver et trouver la déité — cette immensité de royaume — que dans la mesure où j’entrerai en moi.

Ce dedans de moi n’a pas de nom. Il est mystère. Je pourrais l’appeler symboliquement avec Houéi-Neng le palais de Jade, avec les maîtres soufis l’Ile verte, avec Catherine de Sienne la cellule intérieure, avec Tsen-san le cœur céleste. Je pourrais encore l’appeler le point vital. Ce ne sont là que des symboles, rien que des symboles. Dans la mesure où je vais me défaire de l’extériorité, me libérer de mes liens comme on coupe des nœuds, dans la mesure où j’accepte ce détachement, quelque chose se révélera mais il me faudra comprendre au préalable que c’est l’authenticité qui importe, que je ne peux m’engager dans la voie du dedans d’une façon extraordinairement pure au sens métaphysique, sans tricherie, ni feinte, sans me livrer à un jeu de mascarade. Si je joue, je suis un pantin, un singe, un perroquet.

Est-ce que je vais dire à mes amis, à ma famille, à mes élèves, à mes collègues, que j’ai choisi la voie de l’intériorité ? Non, je ne dirai rien. Ce sera un secret, le « Secret du Roi », un secret en moi-même.

Je suis séduite par l’intériorité? Je ne le confierai à personne. Lorsqu’une jeune fille aime, son visage devient lumineux. Est-ce qu’elle va dire à tous autour d’elle : « J’aime, voyez, j’ai rencontré quelqu’un, mon cœur aime ! » Non, au début, elle ne dira rien. Elle gardera son amour secret. Mais les autres diront : « Son visage a changé ! Il y a une clarté dans ses yeux. Ses joues sont, en quelque sorte, plus rondes. Elle est devenue plus belle ! »

Lorsqu’on possède une vie intérieure authentique, on porte sur soi des traces de lumière. Lorsqu’au départ, on est saisi par l’intériorité, il y a pourtant un moment d’inquiétude : « Et si je me trompais ? Si ma contemplation était vaine ? Si ma prière intérieure n’atteignait pas un but ? »

Il faut savoir que les doutes viennent en général d’un manque de foi, de fidélité, de générosité, de ce que nous ne sommes pas assez amoureux de beauté, d’authenticité, de lumière. Celui qui opte pour l’intériorité doit avoir des dons de courage et de ténacité avec l’amour inconditionnel de la beauté, de la lucidité, de la lumière. Kierkegaard, à qui l’on demandait : « Êtes-vous un bon chrétien ? » répondit : « Non, je ne suis pas un chrétien ! » On ne naît pas un bon chrétien, on le devient peu à peu, pas à pas; en cheminant seul, en marge du troupeau.

Avant tout, l’important est de se mettre en marche. Si je me mets en route, si j’accepte que ma vie ait un sens intérieur, si je ne cherche pas la réussite, la célébrité, alors une révélation m’est faite, une révélation lente, extraordinairement lente.

La vision d’intériorité s’est présentée d’une façon rapide. On la compare en général à un clignement de l’œil. Il y a un texte biblique que l’on ne lira jamais assez, qui dit : « Je vais la conduire au désert et parler à son cœur ».

Acceptons d’aller dans le désert, non pas dans un désert géographique, le Sahara, là où se rendaient les Pères du désert. Ce n’est sans doute pas notre vocation. Le désert des déserts est dans le cœur de l’homme, dans sa profondeur.

Cependant si nous choisissons la voie intérieure, les autres autour de nous s’inquiéteront. Ils diront : « Mais il change ! Elle n’est plus la même ! »

Nous nous sentirons alors étrangers et terriblement seuls, d’une solitude lourde à porter. Dans cette solitude pourtant, dans le silence, nous comprendrons que notre intériorité a une croissance dans la mesure où nous nous tenons dans un saint repos, dans le « voyage immobile ». C’est là que s’opérera la sainte Rencontre, la rencontre unique, incommunicable ! Comment s’opérera-t-elle? Ce sera d’abord comme une voix, une voix qui n’est pas liée à une bouche, à un visage, une voix comme une intuition des choses, une voix dévoilant la beauté.

Je donnerai un exemple : supposez qu’on me dise du mal de quelqu’un. Si je suis dans l’extériorité, je vais le croire. Pourquoi? Parce que cette laideur qu’on me montre va se lier à ma propre laideur. Si je rentre dans l’intériorité, toute laideur s’évanouira, c’est la beauté que je vais découvrir dans les êtres. Une beauté qui n’est peut-être pas encore vivante, visible, cachée dans l’être, celle que mes yeux ne peuvent pas encore découvrir, et qui est amour.

Est-ce que je vais me rendre compte de mon intériorité? Vais-je la palper ? Dites-moi, quand l’enfant est dans le sein de sa mère est-ce qu’il voit sa mère?

Est-ce que nous ne pourrions pas penser que lorsque nous sommes dans l’intériorité nous ne voyons ni la beauté, ni l’univers des êtres ? Mais nous baignons dans la déité, nous sommes dans son univers, nous sommes dans sa beauté.

Est-ce que je puis mesurer le vent dans ma main ? Est-ce que je puis mesurer l’air que je respire ? En aucune manière !

Si je veux rentrer dans mon intériorité, si je veux la saisir, je dois comprendre qu’elle est mystère et que mon habitat — mesure d’une autre dimension, toute proche et toute autre — est mystère.

Si je comprends cela, il va se passer ceci : J’avais souffert de mon isolement ? J’avais souffert de ma solitude ? J’avais souffert peut-être de devoir me retrancher d’une activité extérieure ? Tout d’un coup ma félicité, ma joie sont en communication avec une dimension de profondeur. Plus j’avance, plus le fond est dur. Ce fond sans fond, je croirai le saisir, je l’apercevrai le temps d’un clignement de l’œil, il reculera, il reculera… pourquoi? Parce que je ne suis pas assez purifiée des images appartenant au monde éphémère. Alors ? Il me faut tenir dans un état d’attente et de disponibilité. Je dois être comme le chat qui guette la souris.

Ce ne sont pas mes actes qui ont tellement d’importance, ce sont mes pensées ! Des pensées qui papillonnent, me jettent à l’extérieur, des pensées qui me montrent mon dénuement.

Si je surveille mes pensées, je comprends que la déité, la beauté, la profondeur échappent à mon mental. Le mental est non connaissant. Pourquoi dans toutes les légendes, dans toutes les traditions loue-t-on les bergers? Parce que les bergers ne sont pas des hommes qui savent, mais des hommes qui connaissent. C’est toute la différence entre le savoir et la connaissance. On peut être médecin, savant, diplomate, professeur, on peut être féru de science… qu’est-ce que cela représente ? Rien, absolument rien. Cela passe comme l’herbe des champs. La connaissance, comme dit Claudel, c’est de « naître avec ». Il faut donc que je me dépouille de mes pensées inutiles. Ce dépouillement provoque un état de solitude. Cette solitude est quelque chose d’extraordinaire parce que je vais retrouver dans le silence, dans la vacuité, dans un autre degré que j’avais quitté. « Il y a la lune, il y a le soleil, » disait Jean de la Croix. « J’ai tout quitté mais je retrouve tout à un autre degré, dans une lumière en profondeur… »

Arrivé à ce sommet intérieur, tout change. Si je regarde autrui, je le vois avec le regard plein de tendresse de la déité.

Bien entendu, il reste encore en moi des points obscurs, comme des plis, « ces plis de l’âme » dont parlait Platon.

Comment vais-je trouver quelque chose de lisse qui me permettre de dénouer les nœuds qui me retiennent encore ? Chacun sait combien il est difficile d’aimer ! C’est la chose la plus difficile au monde. Car, aimer un être c’est vouloir son bien et pas forcément le sien propre. J’aime quelqu’un et je veux qu’il m’aime. J’aime les êtres et je voudrais qu’ils soient pour moi pleins de tendresse et d’affection. La même chose pour une mère à l’égard de son enfant, pour l’époux à l’égard de l’épouse et de l’épouse à l’égard de l’époux. Aimer c’est « faire vivre ». Ce n’est pas réduire à l’esclavage. On aime sans espoir de récompense ! Bernard de Clairvaux dit « Je peux aimer comme l’esclave. L’esclave attend la paie. Je peux aimer comme un fils. Le meilleur des fils pense à l’héritage. Je peux aimer comme un ami, mais l’ami peut se détourner de moi. Comment aimer ? » et il ajoute « il faut aimer avec gratuité ».

Par conséquent, si j’arrive à découvrir mon intériorité, c’est par la voie de l’amour universel. Si je suis chrétien, je penserai que mon chemin est une voie, mais qu’il y en a d’autres. Si je suis bouddhiste, je penserai que le taoïsme aussi est une voie. La religion vue par l’homme extérieur et la religion vécue par l’homme intérieur sont totalement différentes.

Si je crois posséder la vérité comme on possède un objet, ce n’est pas la vérité. La vérité est une expérience. Elle passe dans l’existence comme le sang passe dans les veines. Par conséquent, si j’ai une religion extérieure faite de normes et de rites, cela est bien mais cela semble insuffisant. Il arrivera un moment où je comprendrai que je suis appelée à me passer de signes, d’images, de symboles. Or, si je parle théologie, philosophie religieuse, j’emploie des symboles, des images… A un moment donné, il n’y a plus d’images, plus de symboles. Je prendrai un exemple : un chrétien parle sur le Christ : le Christ est Roi, le Christ est Vérité. Je pense que l’erreur a été de trop s’attacher à l’humanité du Christ et pas assez au Verbe, trop au Christ mourant sur la croix, pas assez au Christ ressuscité.

Bernard de Clairvaux dira : « Ne regarde pas le Christ seulement comme homme, va au Verbe », et, faisant parler le Christ il écrira encore : « Ne me regarde pas dans ma laideur, ne me regarde pas dans mon passage : regarde-moi comme Verbe ! Regarde-moi comme ressuscité ». Maître Eckhart de son côté, dira : « Passe par le Christ, abandonne-le, passe par le Verbe, abandonne-le, passe par l’austérité, abandonne-la »…

L’homme qui est dans son intériorité, celui qui vit dans son Palais de Jade, celui qui vit dans son Ile verte, celui qui vit dans sa cellule, celui qui a renoncé au pouvoir et à la réussite, recueille la lumière qui est en lui, réintègre le royaume des Cieux.

Comment me porter en cette déité?

Il faut que je plonge au plus profond de moi-même… Avant de l’avoir atteint, fut-ce une fois, je l’aborde à pas lents, comme par un chemin que je n’ai pas envie d’emprunter. Je l’aborde comme un lieu que je ne connais pas. Au plus profond : qu’est-ce que je découvre? Je découvre comme un puits, un puits recouvert de pierres. Il faut que je déblaie. Le mystère de l’intériorité n’est pas d’acquérir, c’est d’enlever. Il n’est pas de prendre du dehors, de s’approprier. Il est de dégager, de dénouer, de libérer. Se libérer de quoi ? De ses habitudes, de ses façons de penser, de ses coutumes et d’accepter son temps, son époque, de vivre dans ce temps tout en sachant en somme qu’il faut dépasser l’histoire.

Si je comprends cela, si je plonge dans mon puits, si j’accepte avec les nomades de chanter l’eau de mon puits, je me délivre de mes pensées, de ma misère, de ma pauvreté, de ma noirceur et de mes ténèbres, de ma fugitivité et de mes états d’ambiguïté. Il y a une chose certaine : il n’y a pas d’appel lancé dans l’intériorité, pas de cri qui ne reçoive un écho. « Tu as soif ? Il y a de l’eau, disait Isaïe, il suffit d’avancer les lèvres pour boire. »

Si je m’arrête, si je suspens mon pas, si j’abandonne la marche, un instant peut se présenter où je me dirai : si je revenais en arrière ? si je tournais la tête? si je recommençais la vie d’avant?

Il n’y a pas de traces derrière soi dans la vie intérieure… C’est un silence, une profondeur, qui marquent la direction. Un silence qui est une vacuité… une profondeur qui est une amplitude. Il va naître un être, « un être né une seconde fois ». Il était né à l’extérieur. Il avait un nom, un prénom, une profession, une patrie. Entré dans l’intériorité, sa patrie sera l’univers. Il n’y aura plus ni de haut ni de bas, plus de ciel ni d’enfer. Il n’y aura plus d’intérieur ni d’extérieur, plus de dedans ni de dehors. Il n’y aura plus de mâle ni de femelle. Le passage de la marche à l’aboutissement s’est effectué dans une sorte de brusque émergence.

Habiter avec moi-même c’est habiter avec l’unité, dans l’unité, au sein de l’unité. Jamais, dans un chemin vers l’intériorité, il ne faut se demander si l’on progresse. L’important est de savoir que l’on est en marche…

En pérégrinant dans la dimension du dedans, je ne ferai pas comme le jardinier qui prendrait sa pelle et creuserait devant et derrière lui des petits trous : c’est mon puits que je dois forer.

Je n’ai pas non plus à prendre une idée dans le bouddhisme, une autre dans le taoïsme, une autre encore dans le christianisme ou dans le soufisme. Non, je dois creuser, creuser, creuser… Et si je trouve ma source, je comprendrai qu’elle est la source de tous, des bouddhistes, des taoïstes, des chrétiens, des soufis. Il n’y a qu’une source, qu’une déité, qu’une beauté, qu’une immuabilité. Descendue en moi-même, je trouverai l’unité.

Je vais donc me séparer de toutes les vanités qui m’entourent sans dire : « ma voie est meilleure que la tienne ».

Nous n’avons pas à comparer les voies. Tant que nous comparons les choses par rapport à nous-mêmes, nous ne sommes pas entrés dans la joie de l’intériorité, la joie de l’Un, dans la béatitude. Au sens des béatitudes « bienheureux les pauvres, bienheureux les pauvres en esprit ».

Dans mon extériorité, on peut me voler, m’aliéner, briser mon honneur, souiller en quelque sorte mon existence. Dans mon intériorité, personne n’a accès. Si je vis en plénitude dans mon intériorité, j’aurai un impact sur l’univers entier, sur le soleil, la lune, les étoiles, les pierres, les fleurs, les animaux, les hommes. Mon unité, mon renoncement se couvriront d’espace. L’espace sera ma demeure. Je serai l’espace. Je serai, en quelque sorte, non pas un citoyen du monde extérieur, mais l’éternel voyageur, ne cessant plus de parcourir l’immensité du dedans, le passionné de l’Infini.

Je dirai encore que le thème de l’intériorité doit être abordé avec humilité. L’humilité est la base de tout fondement, celle du temple. Si je m’enorgueillis quand je pense, quand je parle, tout est perdu, tout devient confus, tout devient brouillard. L’humilité c’est de se taire.

Je voudrais ajouter une question et une réponse : « Où vais-je habiter et avec qui vais-je habiter ? » J’habiterai dans la déité, j’habiterai avec tous les hommes. J’habiterai dans l’unité, la paix, la sérénité, la lumière.

Et que sera ma vie après la mort ? Un prolongement, rien qu’un prolongement. Pourquoi ? Parce que le ciel est sur la terre. J’ai trouvé mon ciel. Le ciel n’est pas quelque chose d’extérieur. L’enfer et le ciel sont un état. Ils ne sont pas des lieux. L’homme intériorisé, celui qui habite avec soi-même, habite dans ce ciel. Alors, comment habite-t-il aussi avec les autres hommes ?… sans peine, car il n’est que compréhension, qu’amour, compassion, tendresse…

Je terminerai mon exposé par une petite histoire que l’on raconte souvent dans les pays du Nord. Une lapine a mis bas. Certains de ses petits lapins sont gris, d’autres sont jaunes. Or, ils vivent sur la neige; et la mère lapine s’inquiète : « Mes petits sont en danger d’être dévorés par les bêtes sauvages ou d’êtres vus et tués par des chasseurs ! » Cette mère lapine va voir un lapin qui est un sage. Le lapin la rassure par ces mots : « Ne t’inquiète pas, mère lapine, sèche tes larmes, ne pleure plus ! Dis simplement à tes petits : Mangez de la neige et vous deviendrez blancs ! »

Concluons ensemble : « Nourrissons-nous de lumière, nous deviendrons lumière ».

 

Habiter avec soi-même, par Marie-Madeleine Davy.
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