28 Septembre 2016
* Ali Laidi. ** Histoire de la guerre économique,d'Ali Laidi, dont parle Zemmour. *** Zemmour. **** Bisounours !
Eric Zemmour
( http://kiosque.lefigaro.fr/ouvrir-liseuse-milibris/le-figaro/fa050a20-f366-4d19-a576-ee9e37677674 ).
HISTOIRE MONDIALE DE LA GUERRE ÉCONOMIQUE Ali Laïdi, Éditions Perrin, 494 p., 26 €.
Lorsque Michel Debré parlait de guerre économique à la fin des années 1970, il ne suscitait qu’indifférence ou sarcasmes. On se gaussait de « Michou la colère » et de son patriotisme ringard qui ne comprenait rien aux vertus pacifiques du « doux commerce » cher à notre grand Montesquieu. Près d’un demi-siècle plus tard, rien n’a changé. Ou presque. La guerre économique n’est plus un gros mot, mais ne reste qu’un mot. Un sujet de colloque, de rapport parlementaire, de mission administrative. Pendant que les Français en parlent, les autres, Américains, Chinois, Russes, Japonais, Allemands ou même Brésiliens, la font. Les Français restent corsetés par une « Europe, bâtie sur la paix, (qui) refuse d’envisager que les marchés puissent parfois se transformer en champs de bataille » ; et par des théoriciens libéraux qui excluent la violence de l’économie pour mieux en chasser l’État. Les Français n’ont pourtant pas toujours été aussi pusillanimes, et les Européens n’ont pas toujours été « les Bisounours de la compétition économique ».
C’est ce que nous découvrons dans cette « histoire mondiale de la guerre économique ». Notre auteur, Ali Laïdi, n’est pas historien professionnel, mais journaliste et chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques. Il n’a pas l’envergure intellectuelle ni l’élégance stylistique du grand historien du capitalisme Fernand Braudel ; il n’en a d’ailleurs pas la prétention. Parfois, on peut trouver ses synthèses un peu besogneuses, et quelques inexactitudes choquent le lecteur attentif (Aristide Briand n’a jamais été président de la République !). Mais tout cela n’est que vétilles eu égard à la richesse et à l’intérêt de son travail.
Que nous dit-il ? Que la guerre économique est de tous temps et de toutes contrées. Que le « doux commerce » est une fable. Que pour Lévi-Strauss, au contraire, toute relation économique génère un danger de guerre. Que « la guerre économique n’est pas une guerre pour l’économie, mais un conflit politique mené sur le terrain économique ». Qu’elle est parfois un substitut à la guerre, mais le plus souvent son complément. « La guerre économique est l’utilisation de violences, de contraintes et de moyens déloyaux, ou illégaux, pour protéger ou conquérir un marché, gagner ou préserver une position dominante qui permet de contrôler abusivement un marché. La guerre économique s’exerce en temps de guerre comme en temps de paix. Elle est pratiquée par les États, les entreprises, les associations et même les individus. »
Notre auteur nous balade dans le temps et dans l’espace, au cours d’un voyage passionnant. On voit les Italiens profiter des croisades pour évincer les marchands arabes de la route de la soie ; Vasco de Gama découvrir le cap de Bonne-Espérance ; les Anglais voler le secret du thé aux Chinois avant de les contraindre à coups de canons à consommer de l’opium ; l’Amsterdam du XVIIe siècle « en économie urbaine survoltée » (Braudel) ; Napoléon allégeant le blocus continental au moment où les Anglais sont au bord de la famine ; Bismarck : « Nous avons fait le Sedan militaire ; il nous reste à faire le Sedan commercial » ; la guerre au XXe siècle donnant la victoire non au meilleur stratège, mais à celui qui produit le plus ; le pétrole « maître du monde », obsession diplomatique et origine secrète des conflits armés.
À la fin de cette course haletante, nous sommes revenus à la case départ. Les plus grosses entreprises mondiales sont plus riches et plus puissantes que des États, qu’elles vassalisent, comme aux temps moyenâgeux où la ligue hanséatique dominait sans partage. La guerre économique est devenue technologique et médiatique, mais « les armes moins létales de la guerre économique ne font pas de nous des hommes moins violents que nos ancêtres. Elles perfectionnent nos techniques, pas nos âmes. » Les leçons tirées de cette histoire-là sont éternelles. On ouvre toujours les marchés à coups de canons. La liberté sert le plus fort ; le protectionnisme protège le plus faible ; c’est « l’impérialisme du libre-échange ». Le droit est une arme qu’on utilise selon ses intérêts : au XVIIe siècle, le grand juriste hollandais Hugo Grotius plaide pour la liberté des mers lorsque les Portugais règnent sur le commerce transatlantique ; le même expliquera ensuite aux Anglais que la route des épices est réservée aux Hollandais qui y ont investi beaucoup d’argent et d’hommes dans leurs comptoirs. Aujourd’hui, la justice américaine est le bras armé de l’impérialisme US qui punit la concurrence et protège les intérêts américains. L’Oncle Sam ne fait qu’imiter en plus grand ses prédécesseurs hollandais et anglais. Le commerce et la guerre furent les deux mamelles de l’immense réussite économique britannique. « Internet n’est pas sorti du garage d’un jeune geek, mais du centre de recherches du Pentagone. »
Les Français arrivent toujours en retard. C’est l’État (Colbert !) qui crée la Compagnie française des Indes, alors que l’initiative était revenue aux marchands pour la création des compagnies hollandaise et anglaises. C’est encore l’État qui prend en mains la guerre économique pendant la guerre de 1914-1918. L’État met la force armée au service du combat économique ; sa gestion des hommes est souvent trop bureaucratique et trop rigide ; mais sans l’État, rien ne se passe. Les Français ne jouent jamais aussi collectifs que les Allemands. Dès septembre 1914, les Allemands élaborent un plan de vassalisation économique de la France qui passe par une union douanière. Il faut se méfier des alliés qui vous aident économiquement : l’Europe n’avait pas besoin de l’argent du plan Marshall, qui a servi à mettre l’Europe de l’Ouest sous tutelle américaine. Le commerce international a toujours partie liée avec la criminalité organisée. La banque HSBC est issue des trafiquants d’opium en Chine. C’est ce capitalisme criminel et mafieux anglo-saxon que nous avons donné en modèle aux Chinois. Les Russes ont recyclé leurs agents du KGB dans l’espionnage industriel. Les Américains ont fait de même avec les agents de la CIA.
Dans l’expression « guerre économique », c’est le mot « guerre » qui est le plus important.