28 Juin 2016
Sondage intéressant sur le brexit, dans le Figaro de ce jour. Après le sondage, j'ai sélectionné, pour les lecteurs soucieux d'approfondir deux articles. L'un très sage et modéré, tout en étant ferme du général Jean-Claude Allard. Puis une interview d'Alain Finkielkraut, toujours aussi passionnant et utile. Dans ces deux articles j'ai souligné en gras et en rouge, deux passages qui m'ont paru particulièrement à noter.
Le Scrutateur.
Albert Zennou
( http://kiosque.lefigaro.fr/ouvrir-liseuse-milibris/le-figaro/e531e2af-c99f-4933-b2ab-ffa68a97adf3 ).
E « FREXIT », les Français n’en veulent pas vraiment. La sortie des Britanniques de l’Union européenne n’a pas donné aux partisans d’un divorce avec l’UE une domination dans l’opinion française. Elle a créé autant de doutes aux proeuropéens qu’elle a suscité des espoirs chez les adversaires de l’UE.
Notre sondage TNS Sofres OnePoint pour RTL, Le Figaro et LCI donne encore un avantage au camp du maintien dans l’Union européenne si un jour un référendum était organisé sur un éventuel « Frexit » (contraction de France et exit, sortie de la France). Une majorité relative mais confortable, sans être écrasante, de 45 % des personnes interrogées choisirait le maintien quand 33 % opteraient pour la sortie.
Les Français ont sans doute en tête le fait que la France est bien plus impliquée dans l’Europe que la Grande-Bretagne ne l’a jamais été. Et l’arrivée de la monnaie unique a singulièrement compliqué une sortie de l’Union. Car si le Brexit s’avère bien plus complexe qu’il n’y paraissait la semaine dernière, pour la France qui a échangé le franc pour l’euro, la complexité monterait encore de plusieurs crans. D’ailleurs, les avis se révèlent très partagés sur l’organisation d’un référendum en France, 45 % y seraient favorables contre 44 % qui n’en veulent pas.
Comme en Grande-Bretagne, la différence sociologique est un marqueur important du vote ou non du « Frexit ». Les CSP + (catégories socio-professionnelles les plus favorisées) sont largement en faveur du maintien (51 %) contre seulement 3 % pour les catégories les moins aisées. Mais à l’inverse de l’Angleterre, l’âge n’est pas déterminant. Outre-Manche, les jeunes ont voté très majoritairement pour le maintien contrairement aux seniors. En France, quelles que soient les classes d’âge, elles se répartissent de façon assez équitable autour de 45 % pour le maintien et 33 % pour la sortie. « Chez les jeunes, la captation par le Front national de cet électorat a sans aucun doute joué en faveur du “Frexit” chez les 18-25 ans », note Emmanuel Rivière, directeur du pôle Opinion de TNS Sofres.
La véritable différence repose sur l’appartenance politique. Deux partis se démarquent : le Front national et le Front de gauche. Une écrasante majorité (74 %) des électeurs FN voterait en faveur de la sortie de la France de l’UE. Au Front de gauche, ils seraient 43 %, même si dans cet électorat, le « Frexit » n’est pas majoritaire : 48 % sont favorables au maintien. À titre de comparaison, les électeurs EELV ne sont que 10 % à vouloir sortir de l’UE, 17 % au PS et au MoDem, 19 % chez les Républicains.
L’analyse du scrutin anglais par les Français donne un autre éclairage. Là encore, une majorité relative (45 %) de Français se disent déçus du résultat du 23 juin contre seulement 33 % qui en sont satisfaits. Les mêmes clivages se retrouvent, moins marqués sociologiquement : les CSP + sont plus nombreux (48 %) à être déçus que les CSP - (31 %) mais surtout politiquement. 63 % des sympathisants Front national se disent satisfaits du résultat tandis que ceux du Front de gauche sont 49 % à le penser.
Dans les autres familles politiques, la déception l’emporte majoritairement de 51 % au MoDem à 65 % au PS. « Malgré tout, il faut faire une différence entre la volonté de sortir des électeurs du FN et celle de ceux du Front de gauche. De la même manière, la déception au FN n’est pas la même qu’au Front de gauche. Pour les électeurs du FN, le résultat est perçu comme un coup de boutoir donné au système, aux élites européistes. Au Front de gauche, il y a certes en partie cette dimension de formidable coup donné à Bruxelles mais il est agrémenté aussi d’une certaine dose d’espoir, de recomposition, de reconstruction de l’Europe sur d’autres valeurs, d’autres idéaux », analyse Emmanuel Rivière. Dans l’esprit des électeurs FdG, il y a également l’idée que le résultat du Brexit est aussi bon pour la France. Pour l’électeur FN, il est surtout un espoir d’échapper à l’Europe, quand pour celui du FdG, il est un espoir de changer l’Europe.
Notre sondage TNS Sofres entérine la fin de l’enthousiasme européen. La solution prônée par les Français au Brexit est très majoritairement (55 %) pour qu’il y ait « davantage d’autonomie des nations vis-à-vis de l’Europe ». Ils ne sont plus que 25 % à espérer davantage d’intégration entre les nations au sein de l’UE. De la même manière, six Français sur dix (58 %) déclarent ne pas être surpris du résultat anglais. Comme s’ils s’y attendaient…
( II ) Brexit: un peu de grandeur plutôt que de la rancœur
Jean-Claude Allard
est Général de division (2° S).
( http://www.causeur.fr/brexit-royaume-uni-union-europeenne-europe-2-38939.html ).
Les réactions médiatiques et politiques exprimées à la lecture des résultats du référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne inquiètent pour trois raisons.
Alors que l’euroscepticisme monte dans toute l’Europe, médias et politiques euro-optimistes découvrent soudain que l’un des peuples les plus distants par rapport à l’actuelle stratégie européenne peut les rejeter. Preuve de l’aveuglement dans les cercles de l’esprit et du pouvoir. Un aveuglement inquiétant quant à la capacité de ses membres à construire l’avenir.
Dès le résultat connu, une campagne de dénigrement a pris de l’ampleur : pétitions pour demander un nouveau vote, analyses « objectives » expliquant le vote négatif par « la xénophobie, la haine » des électeurs, déclarations sur ces circonscriptions de « petits blancs » qui ont voté « leave », etc. Une campagne qui joue très imprudemment sur les clivages forts qui traversent tous les pays européens sans exception et qui, si un terme n’y est pas mis au plus tôt, fera plus de mal que le Brexit lui-même.
Pour ne pas être en reste, des dirigeants politiques haussent le ton pour demander une sortie « immédiate », ne voulant pas « donner l’impression d’une Europe molle ». Un sursaut d’autorité à bon compte pour ceux qui ont traité avec le président turc, qui ont déversé des milliards d’euros pour sauver la Grèce. Mais il s’agissait alors de valoriser leurs egos de « sauveurs de l’Europe » avec de l’argent public. Aujourd’hui, il s’agit de faire taire les « egos » pour sauver l’Europe, et là, cela coûte cher pour leur amour-propre !
Alors au lieu de la rancœur, exprimons de la grandeur, car il s’agit de sauver, pour les générations futures, le projet de l’Europe.
Des dirigeants de l’Union européenne et des différents pays membres qui commencent leurs réunions ce lundi, les peuples européens attendent qu’ils tracent, enfin, une identité et un destin pour l’Europe et non qu’ils infligent une punition à des amis inquiets. Il s’agirait donc de dire :
- Le Royaume-Uni, pays souverain, pouvait légitimement consulter sa population, mais la légalité nous enjoint d’attendre la dénonciation des traités par le gouvernement britannique (article 50 du traité Lisbonne). Nous comprenons que cela ne puisse se faire dans la hâte sans provoquer encore plus de dégâts entre nous ;
- Nous sommes en effet convaincus de la nécessité de « faire l’Europe » car il s’agit d’un projet vital pour les peuples. Pour réussir ce projet, nous devons, de notre côté, comprendre si le rejet exprimé au Royaume-Uni, et qui se manifeste dans d’autres pays, porte sur l’objectif d’union, sur son contenu ou sur la stratégie pour atteindre cette union ? Trois thématiques interconnectées mais différentes ;
- Nous comprenons que, s’il y a urgence absolue, elle n’est pas dans la sortie du Royaume-Uni, mais dans une critique honnête et sans concession du projet européen afin que les peuples y adhérent. Car, s’il ne s’agissait que de créer un grand marché, alors le projet initial de la Communauté économique européenne suffisait ;
- Mais les évolutions du monde imposent clairement de produire plus de coopération entre États partageant les mêmes valeurs, mais avons-nous choisi les bonnes solutions ?
- Les cris des peuples laissent à penser que non. Adaptons notre stratégie pour construire l’Europe de demain dans laquelle chaque peuple sera heureux de partager avec ses voisins européens, sans avoir d’angoisse sur les surprises que pourraient leur réserver des politiques centralisées, déconnectées du monde réel.
S’il n’y a pas cette déclaration publique de la volonté de se livrer d’abord à une critique sans concession, afin de construire une Europe des Nations, donc des peuples, et s’il n’est pas mis fin à cette campagne de dénigrement des eurosceptiques, alors toutes les promesses pour « réécrire les traités », « faire plus de… », « faire moins de… » ne feront qu’amplifier la défiance et accentuer la profonde plaie qui balafre l’Europe de l’Algarve au comté du Viru-Est. Une plaie ouverte exposée à toutes les infections, dont la rancœur et la vengeance contre les « mal-votants » ne sont pas les plus bénignes.
( III ) Finkielkraut: Brexit, “les eurocrates ne l’ont pas volé!”
Alain Finkielkraut
est philosophe et écrivain.
Publié le 28 juin 2016 / Monde Politique Société
Mots-clés : Brexit, Notre-Dame-des-Landes, UE, Union Européenne
Alain Finkielkraut ignore si la décision souveraine du peuple britannique de sortir de l’Union européenne est une bonne ou une mauvaise chose. Cependant, pour lui, comme il ‘a expliqué lors de l’émission « L’Esprit de l’escalier », il est certain que « les eurocrates ne l’ont pas volé ». À force de promouvoir une Europe désincarnée, sans racines, ni mode de vie particulier, les classes dirigeantes européennes se prennent un violent retour de bâtons. Au point qu’une nouvelle ligne de faille semble traverser les sociétés européennes qui « se partagent désormais entre les planétaires et les sédentaires, les globaux et les locaux, les hors-sol et les autochtones ». Dans cette nouvelle lutte des classes, « les planétaires sont non seulement mieux lotis économiquement mais ils se croient politiquement et moralement supérieurs. Ils traitent les autochtones de ploucs, voire de salauds » xénophobes.
Alors que François Fillon a proposé de fournir deux voix à chaque jeune pour contrer l’euroscepticisme des plus âgés, Alain Finkielkraut s’afflige d’une « hostilité obscène aux vieux » au profit d’un « cosmopolitisme de galerie marchande » et de la « complète absorption dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication ».
Pour Finkielkraut, l’un des paradoxes de la situation politique présente réside dans le fait que les Britanniques ont été les premiers militants de « la concurrence libre et non faussée » à l’intérieur de l’Union européenne, « dogme » que la classe dirigeante européenne « applique avec d’autant plus de zèle qu’il permet d’humilier les nations alors même qu’un peu de protectionnisme se révélerait nécessaire ».
Selon l’académicien, l’Union européenne a contribué à la « déseuropéanisation de l’Europe elle-même, notamment à travers sa politique migratoire » qui favorise la fragmentation de nos sociétés « en communautés hostiles ». Quant à la révolte des opinions publiques contre l’accueil inconditionnel de migrants, « le fait de vouloir être majoritaire dans son propre pays ne relève pas de l’égoïsme, c’est une aspiration absolument légitime qu’il est absurde de vouloir criminaliser ».
Au sujet d’un autre référendum, qui s’est tenu ce week-end en Loire-Atlantique, le philosophe à l’épée d’académicien ornée d’une vache s’oppose plus que jamais à la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Bien que n’ayant « aucune sympathie pour les zadistes », il réaffirme son souci de « ménager la terre ». Pour les mêmes raisons, il regrette le report par les députés de l’interdiction des pesticides tueurs d’abeilles.
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