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Le Scrutateur.

Blog destiné à commenter l'actualité, politique, économique, culturelle, sportive, etc, dans un esprit de critique philosophique, d'esprit chrétien et français.La collaboration des lecteurs est souhaitée, de même que la courtoisie, et l'esprit de tolérance.

La Guadeloupe en 1900 : Larah, et la société des cuisinières, par Georges Bonnemaison.

1 ) Larah la cuisinière. 2 ) La jeune Marie-Louise. 3 ) Couverture du livre de Georges Bonnemaison.
1 ) Larah la cuisinière. 2 ) La jeune Marie-Louise. 3 ) Couverture du livre de Georges Bonnemaison.
1 ) Larah la cuisinière. 2 ) La jeune Marie-Louise. 3 ) Couverture du livre de Georges Bonnemaison.

1 ) Larah la cuisinière. 2 ) La jeune Marie-Louise. 3 ) Couverture du livre de Georges Bonnemaison.

Il est un livre dont je vous recommande la lecture, passionnante. Il s'agit de La Guadeloupe en Zigzag, écrit entre 1900 et 1903, par Georges Bonnemaison, et publié en 2001 par les éditions Caret.

Georges Bonnemaison était un gendarme affecté pour servir, à la Guadeloupe, où il résida trais années. « Résider » est une façon de parler, car il parcourut tout l'archipel, et comme il avait une vocation d'observateur, entre le mémorialiste et le sociologue pour employer un terme aujourd'hui, hélas! bien galvaudé, son témoignage sur notre île il y a un peu plus d'un siècle est précieux.

Il tint un journal de ses activités, photographia bien des gens, bien des lieux. Ses papiers, retrouvés ont fait en 2001 l'objet d'une édition, précieuse pour les amateurs d'histoire, et d'histoire de la Guadeloupe en particulier, pat les éditions Caret.

Souhaitant plus de lecteurs à cet ouvrage, qu'il semble n'en avoir eu, j'en reproduit quelques pages à votre intention.

 

Le Scrutateur.

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CHAPITRE XI — Quelques détails domestiques — La vieille Larah — Sa majesté la Reine — Georges et le singe.

 

Au bout de quelques jours nous sommes à peu près installés, au moins d'une façon suffisante pour trois mois, puisque nous devons partir dans les premiers jours de février pour Marie-Galante.

Nous avons deux bonnes : Larah, qui s'intitule la cuisinière, vieille métisse de plus de cinquante ans et Mathilde, jeune négresse de quatorze ou quinze ans, à qui on en donnerait dix-huit ou vingt.

Avec Larah nous avons eu la main heureuse ; elle fait assez bien la cuisine, aime beaucoup les enfants et malgré son carac­tère exécrable qui ne lui permet de supporter aucune observation sans maugréer pendant un quart d'heure en créole, elle fait assez bien notre affaire. Mais il faut avec elle beaucoup de fermeté et ne pas s'emballer, car elle conserve toujours un calme imperturbable dont elle ne se départit que lorsqu'elle est poursuivie par un singe qui est dans la cour et dont elle a une peur atroce. Elle inspire beaucoup de respect aux jeunes bonnes qui ne l'appellent que "Mazel Larah".

Je dis "aux jeunes bonnes" au pluriel car Mathilde est partie le surlendemain de son entrée sans tambour ni trom­pette et sans même nous demander de lui payer ses deux jours. Nous ne l'avons jamais revue, mais nous avons trouvé une tasse cassée par elle, c'est sans doute la peur d'être grondée qui l'a fait partir.

Nous en avons trouvé une autre, immédiatement. Celle-là est restée cinq jours. Nous avions à dîner le docteur et Monsieur S***, de passage ici. Une heure avant de nous mettre à table on l'a envoyée faire une commission, elle n'est pas revenue. Nous ne l'avons pas revue non plus.

Elle a été remplacée le soir même par Marie-Louise, une négresse de Marie-Galante que nous avons conservée depuis après avoir été cent fois sur le point de la renvoyer. C'est une bonne fille, mais d'une nonchalance !... Si à table on demande une assiette, il faut attendre cinq bonnes minutes ; de même pour toutes choses ; d'ailleurs elles sont toutes comme ça ici, inutile de changer. Et puis avec cela des idées arrêtées sur tout, en particulier la vieille Larah.

Leur dit-on que les verres sont mal essuyés, elles vous répondent qu'à la mode créole on n'essuie pas les verres. A la mode créole on fait ceci, à la mode créole on ne fait pas cela, cette mode créole revient à chaque instant.

Nos bonnes n'iraient jamais au marché avec un panier, ça ne se fait pas ; ici les cuisinières y vont avec une passoire dans laquelle elles mettent leurs emplettes, viande, poisson, fruits. Enfin, elles sont toutes les deux honnêtes et ne s'enivrent pas, deux qualités assez rares ici.

Le premier soin de Larah, en entrant en fonction, a été d'acheter un lélé, petit bâton d'un bois particulier37 très dur terminé par trois courtes branches et qui lui sert à remuer les sauces, et une sorte d'éventail en jonc de toutes les cou­leurs pour activer le feu du fourneau à charbon de bois. (Ici on ne se sert ni de charbon ni de bois, il ferait trop chaud dans la cuisine).

Quand nous l'avons vue revenir avec ces deux ustensiles, nous lui avons demandé à quoi ils servaient. Elle a été stupéfaite de notre ignorance, ou plutôt a cru que nous nous moquions, car ici une cuisinière se croirait désho­norée si elle ne possédait ces deux instruments. Elle ne nous a certainement pas cru quand nous lui avons dit qu'en France, on remuait les sauces avec une cuiller en bois et qu'on avait des instruments appelés soufflets pour activer le feu.

Il faut la voir dans sa cuisine, tenant l'éventail d'une main et tournant de l'autre son lélé dans le fond d'une casserole. Elle a l'air de remplir un sacerdoce. Et il n'y a pas de danger qu'elle attrape un effort [sic] ! On ne peut se faire une idée de la lenteur de ses mouvements.

C'est qu'ici, le métier de cuisinière n'est pas de la Saint-Jean38. Ces dames forment une véritable corporation et élisent une Reine, la Reine des cuisinières39, oui, dont je ne connais pas encore très bien les attributions mais qui doit avoir des pouvoirs très étendus, à en juger par la déférence avec laquelle en parle notre vieille négresse.

L'autre matin, Larah, vêtue de sa plus belle robe à traîne et de son madras le plus multicolore est venue deman­der à Myriam de lui prêter un compotier :

"Pourquoi faire ? - La Reine est malade et je voudrais lui porter une crème que je viens de faire pour elle.

Oh ! alors, si c'est pour Sa Majesté, je ne m'étonne plus de vous voir si belle ! Prenez ce que vous voudrez."

Et voilà notre brave Larah qui part gravement avec le compotier bien en équilibre sur sa tête, naturellement. Si elle l'avait porté à la main, elle aurait certainement renversé de la crème sur sa belle robe, mais sur la tête, pas de dan­ger, elle pouvait se moucher et éternuer, rien à craindre !

Certains jours de l'année on dit une messe appelée messe des cuisinières. On en a dit une l'autre jour. Les grandes orgues jouaient, les cloches sonnaient à toute volée, tous les membres de la corporation sont allés communier en chœur, c'était superbe. Nous avons vu de nos fenêtres sortir ces dames parées de leurs plus beaux atours, la reine en tête, pon­tifiant au milieu de ses dames d'honneur, les plus vieilles et les plus laides, mais les plus rutilantes de bijoux et de soie jaune, rouge, verte, bleu ciel etc. Et tout ce monde se faisait des petites mines et des salamalecs. Naturellement, Larah était au plus épais40.

Une fois dans la rue, le cortège s'est formé pour aller reconduire Sa Majesté jusque chez elle. Chaque cuisinière avait à son bras un élégant petit panier contenant des légumes et des fruits artistement disposés et on portait sur une civière41 une sorte de garde-manger en forme de clocher décoré de rubans et de fleurs, avec sur les étagères des monceaux de gâteaux et de sucreries.

Deux ou trois jeunes bonnes, très jolies celles-là dans leur brillant costume, armées de petits fanions en guise d'éven­tail, marchaient devant la Reine et se retournaient parfois pour se prosterner devant elle et l'éventer.

Marie-Louise encore profane regardait du haut du balcon, médusée de respect et d'admiration.

Pour se marier, une cuisinière revêt des insignes spéciaux et même après leur mort, les membres de ce noble corps se distinguent du commun des mortels en faisant orner leur cercueil de cordons violets (pourquoi pas de cordons bleus ? Mystère !!!)

Larah ne peut admettre que tout cela ne se fasse pas en France et elle nous pose des questions impossibles. Par exemple, elle nous a demandé pourquoi en France on voyageait en chemin de fer, alors qu'on pourrait aller si vite dans des voi­tures traînées par des mulets comme les diligences d'ici.

Comme elle ne connaît des chemins de fer que ceux qui servent ici à transporter les cannes à sucre et qui vont très len­tement, elle ne peut pas croire qu'ils puissent en France aller plus vite que les mulets. Quant à lui faire comprendre exac­tement ce que c'est que la neige, j'y ai renoncé. Elle connaît la glace pour en avoir acheté pour rafraîchir les boissons, mais elle sourit d'un air malin quand on lui dit que l'hiver, en Europe, elle se forme naturellement dans les bassins, les ruisseaux, les rivières. "Non, ça ne prend pas, ça n'est pas à moi qu'on en fait avaler de ce calibre" semble-t-elle nous dire.

Marie-Louise, elle, est moins entêtée et plus crédule, mais elle trouve que la France est un bien drôle de pays.

Georges est allé l'autre matin dans la cour de la caserne, au moment où un indien domestique attaché à la gendar­merie comme coupeur d'herbes pour les chevaux, faisait à grande eau la toilette du singe qui fait si peur à Larah.

"Vous lavez comme ça votre petit garçon tous les jours ?" Tête de l'Indien qui croit avoir mal compris. "Comment s'appelle votre petit garçon, monsieur ?

-Li pas gâçon à mouè, li singe"»

Craignant que le domestique ne soit vexé42, je suis intervenu et j'ai expliqué à Georges sa méprise. Inutile de dire que les gendarmes qui étaient là ont ri et l'histoire a fait le tour de la gendarmerie et de la ville. Depuis, Georges, Nénette et le singe sont très amis, et Nénette voudrait être un petit singe.

Trois illustrations de fête des cuisinères en Guadeloupe, aujourd'hui.
Trois illustrations de fête des cuisinères en Guadeloupe, aujourd'hui.
Trois illustrations de fête des cuisinères en Guadeloupe, aujourd'hui.

Trois illustrations de fête des cuisinères en Guadeloupe, aujourd'hui.

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