Editorial du « Monde ». « J’ai décidé de clore le débat constitutionnel. » En huit mots, prononcés mercredi 30 mars, François Hollande a signé la fin de ce qui restera comme le pire fiasco de son quinquennat. Quatre mois et demi après avoir annoncé solennellement devant le Parlement réuni en Congrès, le 16 novembre 2015, son intention d’inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux, le président de la République est obligé de reculer en rase campagne. Après Georges Pompidou qui, en 1973, n’avait pu aller au bout d’une révision constitutionnelle visant à introduire le quinquennat, il est le deuxième président de la Ve République à subir une telle humiliation. Mais le camouflet est beaucoup plus sévère car, au terme de ce calamiteux feuilleton, M. Hollande laisse un champ de ruines.
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Sur la décision elle-même, on ne peut que se réjouir d’un tel abandon. Venue de l’extrême droite et d’une partie de la droite, la déchéance de nationalité était une très mauvaise idée. Elle contrevenait gravement aux valeurs humanistes de la République et son efficacité dans la lutte contre le terrorisme était comparable à celle d’un sabre en bois. On s’interrogera longtemps sur les raisons qui ont pu amener l’ancien premier secrétaire du Parti socialiste à recourir à une telle « arme ». « Nous avons raté cette réforme », a reconnu Manuel Valls en mettant en avant, jeudi 31 mars, « des erreurs de méthode ». Le premier ministre a incriminé la droite sénatoriale, qui a sa part de responsabilité, et « une partie de la gauche ». Il est arrivé à de nombreux gouvernements, de droite comme de gauche, de rater une réforme. Mais, en l’espèce, les dégâts sont considérables.
Le chef de l’Etat a fait voler en éclats la fragile unité nationale qui s’était esquissée au lendemain des attentats du 13 novembre
M. Hollande s’est piégé lui-même. Sur la déchéance de nationalité, il a fait voler en éclats la fragile unité nationale qui s’était esquissée au lendemain des attentats du 13 novembre. Sans jamais se livrer devant l’opinion à la moindre pédagogie, il a fini par tout rater. Il a déchiré sa majorité, mis en ébullition un PS au bord de l’implosion, troublé nombre de ses ministres – provoquant la démission de Christiane Taubira, la garde des sceaux –, et il a réussi à indisposer jusqu’à ses propres fidèles. A treize mois de l’élection présidentielle, M. Hollande aura bien du mal à recoudre les mailles d’un filet qu’il a lui-même déchiré.
Le président est aujourd’hui atteint dans sa crédibilité, sa fonction et son image. A cet égard, l’enquête du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) réalisée, en collaboration avec Le Monde, par Ipsos/Sopra Steria et publiée le 30 mars, est ravageuse pour le chef de l’Etat. Dans toutes les hypothèses, qu’il soit face à Nicolas Sarkozy, à Alain Juppé ou même à François Fillon, M. Hollande serait dans l’incapacité de se qualifier pour le second tour. Dans le meilleur des cas, il est crédité d’un faible 16 % au premier tour. Plus inquiétant encore, c’est au cœur même de son électorat qu’il enregistre la chute la plus forte des intentions de vote : seuls 45 % de ceux qui ont voté pour lui au premier tour de 2012 envisagent de faire de même en 2017 s’il est confronté à M. Sarkozy. Cela donne une idée de l’ampleur des dégâts provoqués par la déchéance de nationalité puis par la loi El Khomri. M. Hollande aime l’image de Sisyphe sans cesse obligé de remonter son rocher en haut de la montagne. Mais aujourd’hui, c’est le rocher qui a la taille de la montagne.
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