11 Mars 2016
Le Scrutateur a déjà parlé à plusieurs reprises de Pierre Boutang, l'un des plus grands philosophes français du XX ème siècle, qu'il a eu le privilège de connaître et fréquenter en 1965.( http://www.lescrutateur.com/article-pierre-boutang-le-bagarreur-de-jerome-besnard-114117345.html) .
Il se trouve qu'un de ses disciples publie aux éditions Flammarion, une belle biographie de notre philosophe auquel il faut souhaiter tout le succès possible, car Boutang a été l'un des intellectuels les plus diffamé, et persécuté par la camarilla gauchiste et soixante-huitarde. Pourquoi? Vous le saurez en lisant le livre de S. Giocanti.
Est-il possible, diront peut-être certains, de lire un livre de 457 pages?
Mais oui, mais oui.
Il suffit de prélever une heure par jour sur le temps passé ordinairement sur facebook, et le tour est joué.
Commandez le livre chez votre libraire, et plus spécialement à la Boutique de la presse, seule officine du livre où il y a peu de chance de s'entendre dire : « y a pas » !
Le Scrutateur.
( Ajouté ce matin 12 mars : Lecteurs, vous avez sûrement remarqué dans l'article ci-dessous, intitulé Ombres et lumières...que des liens vous sont proposés avec d'autres articles ou des émissions TV. Ainsi par exemple celui intitulé " émouvant dialogue..."particulièrement intéressant. D'autre part, l'émission de télévision que nous propose ce lien avait reçu un commentaire, dans le Nouvel OBS, que je vous propose de lire. Je l'ai placé en deuxième position sur la liste des photos.
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Par Paul-François Paoli
Publié le 10/03/2016 à 10h38
DOSSIER - Dans une biographie magistrale, Stéphane Giocanti restitue la figure de l'écrivain, poète, critique et romancier né il y a cent ans.
Il était une fois Pierre Boutang, un homme que tous ceux qui l'ont côtoyé, aimé ou combattu ont reconnu comme une figure hors du commun, avec qui les faux-semblants et les à-peu-près étaient impraticables aussi bien dans le domaine de la vie que dans celui de la pensée.
Boutang: un nom qui frappe comme un coup de poing et embrasse le siècle passé, avec ses drames et ses fureurs. Car le tour de force du livre de Stéphane Giocanti n'est pas seulement de nous rendre accessible les passions politiques, philosophiques et poétiques d'un homme tumultueux et complexe, à la prose souvent ésotérique, il est aussi de nous restituer une vie qui en contient tant d'autres.
À travers l'existence de ce Forézien qui naît en 1916, l'année où la France livre la plus grande bataille de son histoire, celle de Verdun, c'est tout un pan de la mémoire de notre pays qui resurgit des décombres de l'oubli. En enquêtant sur la destinée de cet homme disparu en juin 1998, Stéphane Giocanti renoue le fil des passions nationales, depuis l'aventure tragique de l'Action française, à laquelle Boutang a participé comme assistant de Charles Maurras avant guerre, à celle du gaullisme, auquel il se ralliera, en passant par le combat désespéré pour l'Algérie française.
Évitons le malentendu: ce livre, aussi pétri d'admiration soit-il, n'est pas une hagiographie. Le but de Stéphane Giocanti n'est pas de convertir le lecteur à la monarchie et au catholicisme, les deux pierres d'angle de la vie de Pierre Boutang, mais de nous faire comprendre des engagements que nous ne sommes pas obligés de partager.
Il est aussi de nous faire ressentir à quel point Boutang, qui occupa la chaire de métaphysique de la Sorbonne entre 1976 et 1983, poste auquel il succéda à Emmanuel Levinas malgré une levée de boucliers des bien-pensants de l'époque, était poète avant tout, dans son œuvre comme dans sa vie. Comme chez son maître Maurras, il y avait chez lui un romantique contrarié, qui savait par cœur Hugo et Rimbaud, Baudelaire et Maurice Scève, Hölderlin et Nietzsche et qui, pour mieux combattre le romantisme allemand au nom du génie classique de la France, ressentait son attrait.
«Il y avait chez lui un romantique contrarié, qui savait par cœur Hugo et Rimbaud, Baudelaire et Maurice Scève»
Tous ceux qui ont eu affaire à Boutang et parmi eux George Steiner, avec qui il eut un émouvant dialogue télévisé sur le personnage d'Antigone en 1987 (dans l'émission «Océaniques», sur France 3), ont été saisis par cette synthèse de fulgurance et d'érudition qui habitait son esprit. Boutang lisait Platon, dont il avait traduit Le Banquet, mais il pouvait aussi commenter des poèmes de William Blake, auquel il avait consacré un livre étonnant, William Blake, manichéen et visionnaire.
Enfin Boutang était un homme déchiré par la contradiction et hanté par la souffrance des autres, à commencer par celle de son père, qui fut la figure de proue de sa vie et qui occupe une place importante dans ses romans, notamment Le Purgatoire, que publiera en 1976 Raphaël Sorin. L'homme Boutang, comme souvent les grands colériques, était d'une tendresse confondante, il pouvait vous injurier ou vous embrasser d'une minute à l'autre, à l'instar de certains personnages de Dostoïevski.
En lisant cette biographie, on retrouve tous ceux qu'il a aimés, par exemple Roger Nimier et Antoine Blondin, avec qui il allait, entre deux cuites, faire les quatre cents coups au Quartier latin, et l'on croise aussi les femmes qu'il a séduites et parfois maltraitées. Tant d'autres encore, comme Maurice Clavel, qui fut l'éditeur d'Apocalypse du désir en 1979, un essai où Boutang bataille contre les épigones de Gilles Deleuze et Félix Guattari et ferraille contre Lacan et la psychanalyse.
Cet homme qui fut de tous les combats et qui, par-dessus tout, haïssait la mort et la trahison, était un grand vivant. Ses erreurs et ses errements politiques - Dieu sait qu'il en eut - lui seront pardonnés, car ils ont mille fois plus de grandeur que les prudences et les torsions des opportunistes de tout bord. Un homme à haut risque et à haute tension que l'on n'était pas obligé d'aimer, ni même d'apprécier, mais que l'on ne pouvait oublier, une fois rencontré.
«Pierre Boutang», de Stéphane Giocanti, Flammarion, 457 p., 28 €.
1916 Naissance à Saint-Étienne le 20 septembre. 1936 Élève à l'École normale supérieure, est reçu second à l'agrégation de philosophie. 1942 Militant de l'Action française, il rallie le camp du général Giraud au Maroc. 1955 Fondation du journal La Nation française qui paraîtra jusqu'en 1967. 1973 Parution d'Ontologie du secret aux PUF. 1976 Succède à Emmanuel Levinas à la chaire de métaphysique de la Sorbonne. 1979 Parution d'Apocalypse du désir chez Grasset. 1998 Décède le 27 juin à Saint-Germain-en-Laye.
Jean-François Colosimo, président des Éditions du Cerf. - Crédits photo : Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro
Éditeur depuis près de trois décennies, aujourd'hui président du Cerf, Jean-François Colosimo a rencontré Pierre Boutang en 1977, à dix-sept ans, l'âge par excellence où l'on est happé par les grands questionnements métaphysiques.