5 Janvier 2016
Il n'y a pas que le Sida, Ebola, où à un degré moindre de gravité la Chikungunya.
Bien des épidémies, psychiques existent, aussi graves, sinon davantage que celles que je viens d'évoquer. Ces épidémies psychiques peuvent être artificiellement créées par des manipulateurs, jouant à leur profit, financier ou/et politique de la fragilité des hommes, de nos fragilités, chers amis. Pensons pour le XXème siècle à ces deux épidémies, pire que la grande Peste du XIV ème siècle en Europe : j'ai nommé le nazisme et le communisme.
Il y en eu d'autres, en ce siècle terrible, qui subsistent encore en 2016, même si elles semblent s'acheminer lentement, mais sûrement vers leur extinction, tel le « rêve » ratafarien, dont nous avons encore en Guadeloupe quelques adeptes.
Et il y en a d'autres, qui naissent, contre lesquelles il faut dresser le maximum de barrages prophylactiques, tel Le Scrutateur.
Un article du Point, nous informe de la fin du mythe rastafarien.
Même si l'on peut s'en réjouir, il est impossible de ne pas éprouver de la tristesse devant tant de gâchis.
Le Scrutateur.
_______________________________________________________________________________
Des chants s'élèvent derrière le portail en tôle, peint en vert, jaune et rouge. Une maraca résonne timidement. Un turban blanc passe dans l'entrebâillement de la porte. Le prêtre Brian scrute, souriant mais méfiant. « Notre dévotion du matin n'est pas terminée. Entrez, prenez un siège, mais soyez silencieux ! » Engoncé dans sa longue toge blanche, le rasta retourne sur le parvis de sa chapelle, à travers les herbes folles. Il laisse le portail entrouvert. « Sélassié est notre roi ! Notre dieu. Jah ! Rastafari ! » Aujourd'hui, ce sont les frères Brian et Bandulai qui assurent le culte. Ils psalmodient des versets de la Bible. À l'autre bout du pré, un petit homme enturbanné, montre en or au poignet, observe le culte à travers ses verres fumés. « Je me suis réincarné en Jamaïque. Mais mes ancêtres sont noirs. Ma terre d'origine, c'est l'Afrique. Vous savez, un lion né au milieu des crocodiles reste un lion… » Paul Phang, alias prêtre Paul Gebre Michel, est le chef spirituel des Bobo Shanti, l'une des quatre organisations rastafariennes de Shashamané.
Il faut remonter quatre-vingt-dix ans plus tôt pour comprendre la présence de communautés rasta dans cette ville du sud de l'Éthiopie. « Regardez vers l'Afrique, où un roi noir sera couronné, qui mènera le peuple noir à sa délivrance. » En 1921, le Jamaïcain Marcus Garvey, précurseur du panafricanisme, annonce cette prophétie. Neuf ans plus tard, le Ras (duc, NDLR) Tafari Makonnen est couronné Négusa Negast, roi des rois, empereur d'Éthiopie. Il prend le nom de Hailé Sélassié Ier. La prophétie se réalise. Certains Jamaïcains interprètent cet événement comme le retour du Messie. « Ça nous a donné la conviction qu'il était temps de retourner à la terre de nos ancêtres, à nos origines », continue Paul Phang. Les « Jah ! Rastafari ! » continuent de résonner de l'autre côté du pré. Les Bobo Shanti ne sont que sept. Ils vivent dans une petite propriété autour de l'église, retirés du monde. Une parcelle d'un hectare, dotée d'une chapelle, d'un potager et de quelques demeures. Trois rues plus loin se cachent les quartiers généraux de la Fédération internationale éthiopienne. Là où le retour à la terre promise a commencé. Un drapeau floqué du lion de Judah flotte fièrement sur le toit. Une haie de bananiers protège la petite maison des regards indiscrets. À l'intérieur, les murs de la salle de réunion sont recouverts de coupures de presse. « Hailé Sélassié, l'un des plus grands du XXe siècle », « Les leaders noirs se rassemblent ». Ici aussi, les locaux sont peints en vert, jaune et rouge. Reuben Kush, la quarantaine, cheveux courts et joues creusées, est le président de la branche éthiopienne. « Peu après le couronnement de Sa Majesté, l'Italie a envahi l'Éthiopie. C'est à ce moment que s'est créée la Fédération internationale éthiopienne, à New York. Le but était de recueillir des fonds pour aider les Éthiopiens à se libérer du joug occidental. En leur fournissant des armes, notamment. » En 1941, les Italiens sont chassés par la résistance intérieure, avec l'aide des Britanniques. « Pour nous remercier de notre aide, l'empereur a offert à la fédération 500 hectares de ses terres personnelles, ici à Shashamané », continue Reuben. La repatriation, l'exode des Noirs d'Occident, majoritairement jamaïcains, peut commencer.
Mais l'euphorie sera de courte durée. En 1974, l'empereur est déposé par un coup d'État communiste. Sélassié meurt l'année suivante. Le régime du Derg nationalise toutes les terres, y compris celles des rastas. Des 500 hectares, ils ne récupéreront qu'une dizaine. Beaucoup de Jamaïcains se découragent et rentrent au pays. Les autres considèrent que leur pays est l'Éthiopie. Et restent coûte que coûte. « Depuis lors, nous nous battons pour être reconnus comme Éthiopiens », soupire Reuben. En 1992, le régime du Derg chute à son tour, et le nouveau régime – encore en place aujourd'hui – ne leur reconnaît pas plus le droit à la nationalité éthiopienne. Les rastas deviennent apatrides. La malédiction se transmet de génération en génération. Ras Paul, un autre membre de la Fédération, s'est repatrié depuis la Grande-Bretagne au début des années 2000. Lui aussi est d'origine jamaïcaine. « Depuis, mon passeport a expiré. Je ne peux plus retourner en Angleterre, même si je ne le veux pas », observe-t-il en triturant ses dreadlocks. Comme la majorité de ses frères, il est devenu apatride. « Cette situation est problématique, car, sans papiers, nous sommes illégaux. Nous n'avons pas le droit de travailler, nous ne payons pas de taxes, ne bénéficions pas des services publics, regrette Paul. Or nous avons un savoir-faire dont nous voulons faire bénéficier l'Éthiopie. Nous avons appris beaucoup de choses en Occident. » Il assure que la fédération est en dialogue permanent avec les institutions éthiopiennes. Sans grand résultat, cependant : des milliers de repatriés que l'on comptait dans les années 1970, ils ne sont plus qu'une poignée. Moins de 500 à Shashamané, à peine 1 000 dans toute l'Éthiopie. Pour couronner le tout, le mouvement s'est divisé au cours des décennies. Quatre organisations rasta se tirent aujourd'hui dans les pattes à Shashamané. La fédération, l'Église des Nyabinghi, les 12 tribus d'Israël et les Bobo Shanti. De retour dans cette dernière, Paul Phang raconte. « La raison pour laquelle nous n'arrivons pas à obtenir gain de cause, c'est parce que nous sommes divisés », assène-t-il. Lui aussi assure être investi du droit de représenter toute la communauté rasta.
« Pendant ce temps, les Éthiopiens continuent de nous reprendre des terres », regrette Ras Paul. En dépit de sa bonne volonté, la communauté semble avoir échoué à s'intégrer. La faute à une trop grande différence de cultures. « Les Éthiopiens sont un peuple fier, ils n'ont jamais été colonisés, ils nous regardent comme des étrangers », continue Ras Paul. Ces fumeurs de ganja invétérés ne bénéficient pas d'une excellente réputation, et beaucoup d'Éthiopiens les regardent de travers. Un rasta nous avoue même qu'il y a régulièrement des accrochages avec les populations locales. Devant l'entrée des différents lieux de culte rasta, de jeunes gens squattent, prêts à arnaquer le touriste, voire à lui faire les poches. Au grand regret de Reuben. Car Shashamané continue d'attirer curieux et pèlerins du monde entier. Des hôtels rasta ont même ouvert leurs portes.
Frère Alex, un Français d'origine antillaise, a tenté l'expérience il y a dix ans. Avec sa femme « blanche » et sa fille, ils ont créé les chambres d'hôtes Zion Train. Alex ne souhaite pas devenir apatride. Il prend bien soin de renouveler ses papiers français. « Sans ça, je ne pourrais pas faire tourner mon entreprise, or c'est grâce à elle que je peux rester sur la terre sainte », dit-il. Avec ses longues dreadlocks enroulées deux fois autour du cou et sa toge blanche, frère Alex colle parfaitement au décor. Son hôtel est constitué de quelques tukuls, des habitations traditionnelles oromo, une ethnie éthiopienne, d'un grand jardin fleuri et de quelques arbres fruitiers. « Venir faire du business ici, avec une femme blanche, me vaut d'être regardé d'un mauvais œil par certains rastas jamaïcains », raconte-t-il dans un sourire. « Et puis je suis d'origine guadeloupéenne, une terre encore française. Donc, à leurs yeux, je ne suis pas un Noir libéré », continue-t-il sans une once d'amertume. Or, les Jamaïcains ou les Trinidadiens, nombreux à Shashamané, ont obtenu leur indépendance dans les années 1960. « Pourtant, lorsque la terre de Shashamané a été donnée aux rastas, c'était pour qu'ils la développent ! Je fais travailler des locaux, ça aide à mon intégration… Frère Alex n'est affilié à aucune des quatre organisations rastafariennes de Shashamané. « Je vis ma croyance comme je l'entends. C'est le cas de l'immense majorité des rastas à travers le monde ». Alex reconnaît volontiers les problèmes dont souffre la communauté rasta en Éthiopie. « Mais, en dépit des apparences, je nous vois un grand avenir. On peut nous considérer comme les derniers des derniers, un peuple déraciné, sans identité, sans appartenance nationale précise, avec des forces économiques et politiques quasi inexistantes, et pourtant, nous avons notre foi. Jah ! Le Ras Tafari, empereur Sélassié, est bien vivant. La preuve, nous vivons sur ses terres ». Oui, mais pour les Éthiopiens, il est bien mort il y a quarante ans et son héritage semble s'enliser doucement mais sûrement.