16 Décembre 2015
Il paraît que la France, par l'union de la gauche et « de la droite », au second tour des régionales a échappé à un grand péril symbolisé par le Front National et Marine Le Pen.
Qui nous le dit? Un sage? Un pitre dérisoire? Chacun choisira pour son compte, l'épithète qu'il croit juste.
En tout cas c'est M. Jean-Pierre Raffarin qui au micro d'Elkabach sur Europe I le suggère après avoir annoncé ses couleurs dès hier sur une autre antenne :
Mais, pour Raffarin le péril de la « vague brune » évoqué, et provisoirement écarté, il faut « travailler avec le gouvernement » ( sic ), et déjà sur le plan économique. Il déclare même que sur le plan économique, sur celui de la lutte contre le chômage Juppé, dit-il, n'est pas très éloigné de Macron. Ah?
Le FN aurait-il raison de parler d'UMPS, ou de RPS? s'interrogent des millions de Français.
Raffarin se reprend aussitôt : « sur tous les autres plans nous sommes opposés au gouvernement. Nous sommes ses adversaires ». Ah?
Pourtant au cas où en 2017, la sélection opposerait Mme Le Pen à Nicolas Sarkozy, comme le suggère un sondage en date d'hier, pour qui voteraient vos « adversaires » socialistes?
Ce serait, tout le monde le sait, pour ce cher Nicolas qu'ils ont attaqué, pourtant, pendant tant d'années, au moyen de tant de hargne, de haines, d'indignation, de mensonges. Tout cela, penseront des Français nombreux, n'aurait été que simulacres, trompe-l'oeil, mensonges, pour tromper le bon peuple.
Bref une raffarinade de plus. Mais il y a de moins en moins de gens pour en rire.
Comment sortir de l'infernale spirale de décadence économique, culturelle, sociale, spirituelle où la France, et l'Europe, (la vraie, celle des cultures et des Etats ) sont engagés?
Et si l'on en cherchaient les causes ailleurs que dans les discours de nos énarques aussi prétentieux qu'impuissants?
Je vous propose, lecteurs du Scrutateur, une lecture plus instructive que les trucs et truquages de nos ministres, et des tireurs anonymes de ficelles de la commission bruxelloise.
Quatre ou cinq pages du livre de Philippe de Villiers Le moment est venu de dire ce que j'ai vu ( Albin Michel ).
Villiers va aux causes de nos malheurs. C'est un homme intelligent, libre et courageux.
S'il a raison, ce que je crois, ou bien son message est entendu, la classe électorale actuelle rétrécie et la France sur la voie d'un renouveau; ou bien l'électeur français moyen reste abruti par le discours de nos « officiels », et alors notre génération sera celle qui aura fermé l'histoire de France.
Lisons donc ces quatre pages du vendéen, attentivement.
Vous verrez c'est un autre cru que du Juppéo-raffarinien-macroniste.
Le Scrutateur.
___________________________________________________________________________
Une analyse spectrale de la crise économique, sociale, identitaire de la France, par Philippe de Villiers.
( Les passages soulignés en gras, parfois en rouge, l'ont été par Le Scrutateur ).
« Et pourtant, nous avions raison, quand nous allions, répétant : « Le libre-échangisme sauvage fera des ravages autant chez les riches que chez les pauvres. »
Le temps a passé. Aujourd'hui, il est beaucoup plus aisé de deviner qui sont les perdants et qui sont les gagnants : on nous a fait miroiter la convergence mondiale prochaine des niveaux de vie par le courant ascendant des échanges. Promesse trahie, sauf pour les chanceux - les abrités - dont la fortune n'a cessé de croître, une noria de gens très qualifiés, mobiles et intégrés à l'« économie-monde ». Il y a un chiffre terrible qui, à lui seul, laisse deviner le déséquilibre entre les heureux élus et les victimes de la fatale spirale : le patrimoine cumulé de 1 % des plus riches du monde dépassera en 2016 celui des 99 % restants.
Donc, il y a des gagnants de cette globalisation néolibérale. Ce qui veut dire qu'il y a aussi des perdants et superperdants : les classes moyennes des pays riches ont décroché, les ouvriers de l'industrie disparaissent. Et les pauvres des pays pauvres sont de plus en plus pauvres.
L'économie nouvelle, financiarisée, devenue spéculative, irréelle, volatile, comme une bulle de savon, se promène partout et nulle part. Il n'y a plus ni attaches ni attachements. Aujourd'hui, les patrons du CAC 40 et des grandes banques systémiques considèrent que leurs intérêts n'ont plus de lien avec leur pays d'origine. Leur capital est devenu majoritairement étranger, leur chiffre d'affaires dépend de l'extérieur. Ils sont si puissants qu'ils ne craignent pas les sanctions des Etats. C'est le « too big tofail » - trop gros pour tomber - qui se traduit hélas de plus en plus par « too big tojail » - trop gros pour la prison.
L'Europe entière se fait racheter par les Qataris, les Chinois, les Américains. Cette évolution inquiétante souligne la sécession des élites. Elles ont quitté leur patrie, physiquement et mentalement, dans leur tête, dans leurs entrailles et imposent le mythe d'une « mondialisation heureuse ».
Mais il y a un phénomène plus grave que j'ai pu constater par moi-même dans le monde des grandes pauvretés. Je connais bien l'Afrique, les Africains et les Malgaches. J'ai vu le petit paysan quitter sa terre. J'ai souvent échangé sur ce sujet de désolation avec les présidents béninois Kérékou et Soglo, et le Malgache, Rajoelina. L'Occident - notamment le FMI -leur a imposé la fin des cultures vivrières. On les a forcés à ne pratiquer que des cultures d'exportation. La Fondation Puy du Fou Espérance apporte son soutien à l'œuvre célèbre du Père Pedro, à Akamasoa, à Tananarive. Je vois d'année en année, en Afrique et dans l'océan Indien, la misère qui gagne, des pays qui s'enfoncent, des peuples qui désespèrent. Le silence des élites françaises est édifiant.
En cherchant, jusqu'aux confins de la planète, où sont les vainqueurs et les victimes de ce nouveau monde, on voit affleurer une ligne de fracture, elle aussi transnationale : entre une classe cosmopolite qui contrôle l'essentiel des flux mondiaux de marchandises, de capitaux et d'informations, impose ses codes, ses langages et profite de l'ouverture planétaire, et une humanité marginalisée qui souffre économiquement, culturellement et socialement - notamment celle du Sud. Là-bas, de longs cortèges de loqueteux sont obligés de quitter leurs terres, leurs villages, leurs traditions pour aller fabriquer à bas coût dans les « ateliers de la sueur » ce que les consommateurs prolétarisés et infantilisés du Nord devront absorber en continu, épuisant à leur tour ce qui reste de leur État providence.
Les imprécateurs qui ont dénoncé le colonialisme au nom des droits de l'homme pratiquent aujourd'hui une forme insidieuse, redoutable, de néocolonialisme, encore et toujours au nom des droits de l'homme.
C'est ce « mondialisme amoral » que vient d'ailleurs de pointer du doigt, dans une protestation solennelle, le cardinal guinéen Robert Sarah, proche collaborateur du pape1 :
« Concernant mon continent d'origine, je veux dénoncer avec force une volonté d'imposer de fausses valeurs en utilisant des arguments politiques et financiers.
« L'humanité perdrait beaucoup si ces continents venaient à tomber dans le grand magma indistinct du mondialisme, tourné vers un idéal inhumain qui est en fait une hideuse barbarie oligarchique. »
Les élites mondialisées se promènent partout sur la planète en brandissant sans vergogne leur nouveau décalogue postmoderne, au nom d'un impératif sans cesse répété : "L'Afrique doit combler son retard."
Ce slogan sert de paravent au droit-de-l'hommisme messianique qui prétend ainsi étendre au monde entier le virus maléfique du déracinement. Il entend instituer partout l'individu abstrait, interchangeable, nomade en ses appétits et ses désirs - un parfait consommateur.
Alors, la question est simple : qui tire les ficelles ? Qui commande ces évolutions ? Où est la « main invisible » de ce marché mondial sans frontières ni protection ? Je ne suis pas au bout de mes surprises. Les réponses vont vite arriver. » ( PP : 193-195 )
Par la suite, dans un autre chapitre de ce livre remarquable, consacré à la description de cette étrange « démocratie » qui siège à Bruxelles, et dont la Commission, dite européenne, est le grand Manitou, M. de Villiers écrit :
« À Bruxelles, l'essentiel de ce qui se fait ne se voit pas. Ce qui se trame ne se dit pas. Rien ne transpire, rien n'affleure. C'est un monde obscur. L'Europe est un être des abysses, ce qu'elle craint, c'est la lumière. Personne ne connaît la Commission. Et pourtant, nous savons tous que c'est elle qui pilote l'Union - plus précisément une poignée de très hauts fonctionnaires qui contrôlent les commissaires. Même quand elle est, avec son nouveau président, un bateau ivre, elle commande aux gouvernements.
A Bruxelles, on ne se livre jamais à des postures ostentatoires. On reste dans l'ombre. Tout est discret, ouaté, cotonneux : les influences, les profits, les déréglementations aussi.
Le lobbying sert à enrichir les puissants et à imposer un nouveau modèle sociétal. Sans jamais apparaître sur la place publique. Les grands vainqueurs sont la finance, l'agroalimentaire et la pharmacie, au cœur de la toile d'araignée. Grâce à l'opacité des procédures et à la faiblesse du contrôle démocratique, les politiques de démantèlement vont bon train. Il y a comme un concours de belle humeur entre les firmes richissimes qui ne veulent plus de frontières, d'États, de nations et les « Européens convaincus » qui militent au service de la mondialisation heureuse du « No limit ».
Quand un pouvoir est ainsi déterritorialisé, déraciné, il devient abstrait, lointain, facile à circonvenir. Le peuple ne le surveille plus. Il n'est plus de chair humaine. C'est une aubaine pour ceux qu'on appelle les « experts », et pour les réseaux invisibles au service des stratégies d'influence du fondamentalisme marchand et financier.
Nos concitoyens réclament partout de la proximité, ils voudraient un pouvoir plus proche, personnalisé, responsable. Il s'agit d'une aspiration profonde, informulée. Comment la classe politique y répond-elle ? En faisant le contraire, c'est-à-dire en éloignant tous les centres de décision et en diluant les responsabilités : ainsi affaiblit-on les communes où le pouvoir est incarné, au profit des intercommunalités que personne ne connaît, qui sont impersonnelles, budgétivores, paperassières. A l'étage du dessus, on tue les départements, pourtant à forte identité, au profit de régions abstraites aux contours artificiels qui démembrent les nations, au nom de l'« Europe des régions ». Cette spirale infernale continue avec l'affaiblissement des Etats au profit des instances européennes hors-sol, et de l'Europe elle-même au profit de la gouvernance mondiale. À tous les étages, c'est l'irresponsabilité et l'absence de contrôle. Un empilement d'univers corruptibles, loin des gens qui voudraient savoir, loin des yeux qui voudraient voir. » ( pp.200-201 ).