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23 Décembre 2015
Sauf les cinq dernières lignes, que je trouve contestables, Luc Ferry met le doigt sur une réalité que nient farouchement la gauche et « la droite », dont il fait partie pourtant. Seules les cinq dernières lignes de l'article me paraissent ...contestables.
Le Scrutateur.
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LA CHRONIQUE DE LUC FERRY - À refuser de regarder ses erreurs en face, la classe politique tout entière reste impassible devant la montée inexorable du parti d'extrême droite.
Tout à leurs obsessions tacticiennes, les partis traditionnels n'ont toujours pas eu le courage de dresser le bilan, il est vrai calamiteux, de leur impuissance face à l'insécurité, au chômage comme au sentiment de déréliction qui s'empare d'une frange croissante de nos concitoyens. Bien plus, ils continuent avec une obstination confondante à ne rien comprendre aux motivations réelles qui animent les électeurs du Front national. Faute de saisir les causes véritables de la lame de fond qui, malgré son relatif échec, le porte aujourd'hui à l'orée du pouvoir, ils sont incapables de lui répondre sérieusement. Inlassablement, ils évoquent la «peur», «l'inquiétude», voire «l'angoisse» de ceux qui votent pour les Le Pen sans percevoir qu'il s'agit de tout autre chose: d'une colère noire, pour ne pas dire d'une haine bouillonnante envers une classe de gouvernement qui s'est montrée incapable de résoudre la question de l'emploi, alors qu'une réforme du marché du travail était à la fois urgente et possible, comme d'enrayer la montée de l'islamisme dans les banlieues.
C'est l'immoralité des partis traditionnels qui saute, hélas, aux yeux
Où est passé le désormais célèbre «Kärcher» qui devait nettoyer les quartiers? Qu'en est-il de la promesse solennelle d'inverser la courbe du chômage? On n'a rien vu, rien de rien. Voilà ce que pensent, disent et même hurlent haut et clair les électeurs d'une extrême droite dont, par-delà les événements récents, six raisons de fond expliquent le succès. D'abord cette incroyable impuissance publique, renforcée il est vrai par la structure d'une mondialisation qui amoindrit l'efficacité des leviers nationaux, mais qui aurait dû d'autant plus conduire la droite républicaine à «faire le job», à fermer les lieux de fermentation obscurs du fanatisme religieux, à réduire le mille-feuille territorial, à restructurer de fond en comble le Code du travail, à s'attaquer aux déficits et lancer la TVA sociale au lieu de se perdre dans des mesures aussi absurdes que la baisse de celle des restaurateurs ou la mise en place d'un grand emprunt dévastateur sur le plan budgétaire.
Ensuite, c'est l'immoralité des partis traditionnels qui saute, hélas, aux yeux. Dans les années 90, le FN, c'était, selon les donneurs de leçons, le parti des beaufs et des salauds, des racistes et des fascistes, des antisémites et des voyous. Face aux affaires Cahuzac, Bygmalion et tant d'autres qui ont plombé la gauche comme la droite, le FN s'est refait une belle virginité dans une large partie de l'électorat. Même sur la question de l'antisémitisme, la brouille de Marine Le Pen avec son père a porté ses fruits, comme l'a souligné le président du Crif en déclarant qu'à titre personnel, la fille était irréprochable.
Face au machisme comme au vieillissement d'une classe politique usée jusqu'à l'os, le FN est, lui, incarné par des femmes, dont l'une brille même par sa jeunesse
L'élargissement à marche forcée de l'Union européenne a puissamment contribué, lui aussi, à donner le sentiment que la solidarité nationale était en danger, les intellectuels de gauche les plus en vue renforçant volens nolens le discours des Le Pen en réclamant le retour aux frontières, à l'identité perdue ainsi qu'au peuple contre les élites mondialisées. Face au machisme comme au vieillissement d'une classe politique usée jusqu'à l'os, le FN est, lui, incarné par des femmes, dont l'une brille même par sa jeunesse: face à l'impérieux besoin de renouvellement qui traverse tous les électorats, et dont un Emmanuel Macron bénéficie également, c'est un atout majeur.
Enfin, last but not least, l'extrême droite est désormais le seul mouvement sociologiquement populaire, le premier parti ouvrier de France avec 43 % de «travailleurs» contre 6 % chez Mélenchon! Devant ces constats que droite et gauche républicaines refusent de faire pour éviter de regarder en face leurs erreurs et leurs fautes, trois conclusions s'imposent. La première, c'est que si Marine Le Pen n'avait pas un programme à la fois anti-européen et délirant sur le plan économique, un projet façon PC années 70 qui lui aliène le soutien du «grand capital», elle aurait désormais des chances d'être un jour élue à la présidentielle. La seconde est que, sauf accident aussi imprévisible qu'improbable, elle y sera présente au second tour, le vote FN n'étant clairement plus seulement protestataire. Enfin, objectivement et hors de tout parti pris, il n'y a plus guère qu'un seul candidat certain d'infliger une défaite sévère à Marine Le Pen: seul Alain Juppé fera le plein des voix de gauche et de droite, les autres, talentueux ou non, risquant fort de se faire étriller dans une campagne où leur bilan jouera forcément contre eux. Bref, en deux mots comme en cent: attention danger!
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 17/12/2015. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
Luc Ferry