13 Octobre 2015
Je me souviens, quand nous étions en terminale, au lycée Carnot de Pointe-à-Pitre, certains de mes camarades et moi, prisions fort les discussions autour de la notion du plaisir, et de son corolaire, la douleur. Moins pour en déterminer la nature, leur utilité, leurs éventuelles finalités, que pour en tirer matière à rire, à suggérer une connaissance plus fine et plus complète de « ces choses », fidèles en cela à l'éternelle adolescence, que les disciples de Socrate, et d'Aristote, déjà en leurs temps anciens, traitaient avec la même verve, et la même incompréhension de la nature profonde des choses ( De natura rerum, comme disait justement Lucrèce ), que recherchaient leurs maîtres indulgents.
Nous aimions nous appuyer sur des citations d'Epicure, et de Lucrèce justement, mais soigneusement coupées de leur contexte .
Les définitions de l'amour réduit à n'être que « frôlements, et enlacements » provoquaient des gloussements de plaisir. Ou encore celle-ci, d'Epicure : « L'amour est un violent appétit de plaisir sexuel accompagné de folie et de torture ».
Bref notre Epicure semblait avoir tout dit en prétendant que « la fin de toute vie heureuse est le plaisir ».
Bien évidemment Epicure était bien trop intelligent pour s'être contenté d'une philosophie aussi courte, et les meilleurs d'entre nous le devinions, certes, et le découvrirent quand ils eurent le loisir de dépasser le niveau des classes terminales, et la goguenardise plus affichée que réellement vécue des juvéniles écoliers.
Ceux-là du moins eurent la chance de comprendre le mensonge mortel de l'idéologie soixante-huitarde qui devait emporter la civilisation vers les flots roulants de l'hédonisme populacier qui actuellement la ronge et la dévore.
Cet hédonisme ( du grec « hêdonê » : le plaisir ) tend à persuader les masses que le bonheur est dans le plaisir, et l'évitement de toute douleur, avec en corolaire le refus de l'effort, du dépassement de soi, la recherche de l'accomplissement de soi par la soumission à un idéal élevé.
Je ne voudrais pas, en cette heure matinale, me perdre, et vous avec moi, dans de trop longues analyses sur l'idéal de l'enseignement dans la joie, par les jeux, les sketches à la Debouze, les jeux vidéos, etc, etc, si chers à notre décontractée Vallaud-Belkacem.
Mais il faut toutefois constater que l'abus des « stimulants » hédonistes, les exhalaisons herbacées, opium, cocaïne, etc sont devenues des banalités, des « outils de libération » sociale et politique. Il n'est pas loin, le temps ou la présidente d'un parti écologique français adressait un 18 juin, à l'ensemble des parlementaires, un « Appel du 18 joint » visant à dépénaliser l'usage des drogues en France.
Or si le plaisir est généralement un bien, dont on aurait tort de se priver, encore faut-il d'abord s'interroger à son égard. Rien n'est jamais simple. C'est Epicure lui-même qui disait qu'aucun « plaisir n'est en soi un mal, mais certaines causes de plaisir entraînent des ennuis plus nombreux que les plaisirs ».
Le plaisir peut nous détourner de tâches nobles, indispensables à l'accomplissement de notre vie d'homme, à l'aide à apporter à ceux qui en ont besoin.
Autrement dit, le plaisir n'est un bien que par rapport à une échelle de valeurs auxquelles il doit rester subordonné. Echelle qui ne peut être déterminée avec assurance, et sans trop risques, que par une activité intellectuelle et rationnelle approfondie.
Les risques d'égarement sont nombreux dans notre société où le plaisir est de plus en plus recherché pour lui-même, coupé de l'accomplissement des fonctions qu'il accompagne et de tout échanges avec autrui, comme dans l'abandon aux plaisirs artificiels de la drogue.
Il paraît que dans des laboratoires des rats oublient de manger pour appuyer sans arrêt sur un levier qui commande l'excitation de la zone cérébrale du plaisir. Ils meurent en s'autoexcitant.
Combien d'entre nous, toutes choses égales ne sont-ils pas dans des états comparables devant les claviers de nos ordinateurs, de nos tablettes, etc, comme des rats, face à des programmes que je ne nommerai pas, par souci de ménager votre pudeur.
Voici, un extrait de l'expérience que je viens d'évoquer.
Peut-être faut-il que je m'excuse de commencer une journée par des considérations si austère. Mais la politique de l'autruche ne me paraît pas la plus indiquée pour obtenir la part du plaisir légitime que nous avons le droit d'espérer, si nous en prenons les moyens, ou mieux du Bonheur, qui est encore une autre chose.
Le Scrutateur.
Les rats masturbateurs :
« 1952. James Olds, de l'université McGill, travaille dans le cadre de sa recherche de doctorat, auprès de Milner, professeur de cette même université. Milner est un chercheur très réputé pours ses études d'exploration des fonctions cérébrales. Sa principale méthode consiste à implanter des électrodes directement dans le cerveau de rats, d'y envoyer des décharges de diverses intensités, et d'en observer les effets. La recherche de James Olds consistait quant à elle à stimuler un centre supposé de la vigilance, situé en arrière de l'hypothalamus, afin de vérifier si l'on pouvait amener les rats à éviter certains coins de leur cage, seulement en les stimulant.
L'expérience se déroulait à merveille, car l'ensemble des rats stimulés avait, après stimulation, tendance à éviter les endroits trop "stimulants"... Tous, sauf un. Sa conduite était par ailleurs surprenante. Contrairement aux autres, Jack, au lieu de s'en éloigner, revenait systématiquement vers les endroits où étaient administrés les chocs électriques.
Resté perplexe devant ce phénomène, Olds en conclu à priori que le rat devait être moins sensible que les autres, un rat atypique... Il se mit alors à augmenter l'intensité des décharges électriques, espérant peut être que le rat rentrerait dans la norme avec des chocs plus violents. Mais l'inverse se produisit : plus les chocs étaient violents, plus le rat revenait vite se replacer dans les zones où ils étaient administrés, afin d'en recevoir un plus intense encore. Il fallait se rendre à l'évidence, Jack semblait rechercher systématiquement le choc électrique au lieu de l'éviter...
Après avoir servi de son mieux la science, Jack connu une fin tragique au milieu des scalpels du chercheur. Olds découvrit après dissection du cerveau de ce rat masochiste, qu'il avait par erreur implanté l'électrode à côté de l'endroit où elle aurait dû se trouver. L'électrode avait été implantée dans une zone du cerveau que l'on nommerait plus tard "aire septale" (1991, Milner), et que l'on associerait aux Centres Cérébraux du Plaisir.
Fort de cette découverte étrange, il entreprit de systématiser l'expérience, en implantant cette fois de bon gré une électrode dans l'aire septale de nombreux rats, qu'il plaça dans une cage comportant de la nourriture et de l'eau, mais également un petit levier qui commandait directement une décharge dans l'électrode. Les rats pouvaient ainsi apprendre à baisser le levier pour s'auto-administrer un choc.
Le principe du levier qui active une récompense était certes connu, les résultats de l'expérience furent tout de même surprenants. Les rats apprenaient rapidement à appuyer sur le levier, certains s'administraient une centaine de chocs à la minute! et l'intensité des décharges ne faisait qu'accroître le phénomène, certains chocs étaient tellement puissants qu'ils propulsaient les rats contre les parois de la cage! Inexorablement, sitôt leurs esprits recouverts, ils se redirigeaient vers le levier pour une autre stimulation...
Cette expérience fut bien entendue reprises de nombreuses fois : Schonderreger (1970) montra que l'instinct maternel lui même n'était pas aussi fort que le plaisir procuré par le levier, des mères abandonnant leur nichée pour s'administrer une décharge... Si le sommeil venait, ils s'assoupissaient quelques instants et reprenaient dès le réveil leur activité auto stimulatrice. Plusieurs rats préféraient se priver de nourriture plutôt que d'abandonner le levier. du plaisir jusqu'à en mourir ».
http://www.psychoweb.fr/articles/neuropsychologie/240-l-orgasme-sur-commande-olds-et-milner.html