29 Septembre 2015
J'entendis « sonner » le nom d'Emmanuel Macron pour la première fois, il y a un peu plus d'un an quand il fut nommé ministre des finances du gouvernement Valls.
Avec, paradoxalement une impression de « déjà vu ». Comme dans le sonnet des voyelles de Rimbaud, l'enfant terrible de notre poésie.
Puis je le vis, ne rougis point, et déplorai qu'un Eliacin se fut égaré dans une telle équipe ministérielle, ramassis d'idéologues hallucinés, d'amoureux du stupre et de l'or (pour être socialiste, on n'en est pas moins homme, et chaque camp, trois fois hélas! a ses Balkany ).
Mais ma mémoire travaillait en profondeur et soudain me revint le souvenir du script. C'étaient les dernières lignes de l'avertissement du philosophe Paul Ricoeur à son livre La mémoire, l'histoire, l'oubli ( au Seuil ).
Les voici : « Qu'il me soit permis, le travail terminé, d'adresser le témoignage de ma gratitude à ceux de mes proches qui ont accompagné et, si j'ose dire, approuvé mon entreprise. Je ne les nommerai pas ici. Je mets à part les noms de ceux qui, outre leur amitié, m'ont fait partager leur compétence : François Dosse qui m'a conseillé dans l'exploration du chantier de l'historien, Thérèse Duflot qui, à la faveur de sa force de frappe, est devenue ma première lectrice,vigilante et parfois impitoyable, enfin Emmanuel Macron à qui je dois une critique pertinente de l'écriture et la mise en forme de l'appareil critique de cet ouvrage. Un dernier mot pour remercier le président-directeur des Éditions du Seuil et les directeurs de la collection « L'ordre philosophique » de m'avoir, une fois de plus, accordé leur confiance et leur patience.
Paul Ricœur
M. Paul Ricoeur dont j'ai suivi, jadis, il y a cinquante ans des cours lumineux sur Linguistique et philosophie, à la Sorbonne, était certes un homme de gauche, mais dont le niveau était tel qu'il pouvait être reçu de ses collègues et étudiants, pour ce qu'il fut ( il est mort en 2005 ) d'abord un homme de l'esprit. Il était aussi un fervent disciple et ami du grand philosophe catholique Gabriel Marcel, de droite celui-ci, mais du même bois que Ricoeur, ami, lui aussi des altitudes, tout comme mon maître Pierre Boutang qui fréquentait chez Marcel, le même Cercle, tout en s'empoignant philosophiquement avec Ricoeur, plutôt deux fois qu'une, sur les questions politiques.
Je jetai dès lors sur Macron un regard plus attentif, et cependant inquiet.
L'article ci-dessous de Jean-Pierre Robin dans le Figaro de ce jour, qui, en un sens lui tresse des couronnes ( peut-être prématurément, me semble-t-il ) confirme qu'Eliacin n'est pas de la même eau ( trouble ) que ses collègues du gouvernement. Aurait-il lu, ce que ne suggère pas Figaro, le célèbre Machiavel? Il faut l'espérer pour lui, et...pour nous.
Ou bien M. Macron aurait-il succombé aux charmes épicés et mortifères des relents du marécage politicien, qu'évoque le divin Platon au livre VI de la République ( b-d ), quand évoquant le tumulte des « meetings » électoraux, chers aux Athéniens, il explique comment tant d'âmes bien nées succombent à l'appel de sinistres sirènes :
« C'est, dis-je, lorsqu'ils se réunissent en grand nombre et vont siéger ensemble dans des assemblées, des tribunaux, des théâtres, des expéditions militaires, ou dans quelque autre concours collectif de foule, et qu'au milieu d'une rumeur de masse, ils désapprouvent certaines des choses qui sont dites ou faites, et font l'éloge des autres, dans l'un et l'autre cas de façon hyperbolique, par des, cris et des applaudissements ; et qu'en plus d'eux les rochers et le lieu où ils sont, en leur faisant écho, redoublent la rumeur du blâme ou de l'éloge. Dans une telle situation, quel cœur crois-tu que gardera le jeune homme, comme on dit ? et quelle éducation singulière faudra-t-il avoir eue pour qu'elle résiste, ne soit pas submergée par ce genre de blâme ou d'éloge, et ne se laisse pas emporter par le flot là où il veut l'emporter, pour lui faire déclarer belles ou laides les même choses qu'eux, s'appliquer aux mêmes choses qu'eux, et être comme eux ? ».
Voici qui est clairement dit, même si la traduction est un peu lourde, la fidélité au texte l'emportant sur l'élégance du dire.
Peut-être Macron-Eliacin en est-il à cette croisée des chemins, au moment du choix crucial, où après le bain dans les eaux noires du Styx ( la soupe hollandiste, l'eau trouble du baptême politicien en la France blessée de 2015 ), à ce moment où l'on est emporté à jamais dans les profondeurs infernales du royaume des ombres, ou bien aspiré par le souffle de l'Esprit sur chemin de Croix de la résurrection nationale.
Je sais,lecteurs, lecteurs amis, vous souriez, généreusement sur les illusions de LS, qui se laisse emporter un peu vite sur les ailes de la petite colombe Espérance ( et de sa manie philosophique ).
Mais ledit LS persévère. Il aime cette pensée qu'il attribuait légèrement à Claudel, mais qu'un ancien élève, ( de bonne mémoire ) lui a rappelé sèchement, il y a peu, être de Rostand ( Vous savez, Cyrano ) « C'est la nuit qu'il faut croire à la lumière ».
Cela dit Eliacin? La lumière ?
Wait and see, comme disent ces cochons d'Anglais.
Le Scrutateur.
LA CHRONIQUE DE JEAN-PIERRE ROBIN - De Joseph Schumpeter à Henri Bergson, le ministre de l'Économie adore citer ses philosophes favoris.
Écouter ou lire Emmanuel Macron procure toujours un réel plaisir, même si l'aile gauche du PS semble totalement réfractaire. Les propos du ministre de l'Économie sont en effet truffés de références philosophiques, une véritable anthologie. Et comble de l'élégance, il ne cite jamais nommément ses auteurs, ce qui serait d'une fatuité insupportable, pense-t-il. Mais il ne fait aucun doute que d'Aristote à Gilles Deleuze en passant par Sénèque et Henri Bergson, les grands «amis de la sagesse» veillent à sa gouverne. Exemple tout récent, la notule d'introduction qu'il signe de son nom pour présenter les principales mesures de la loi pour La croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. On y lit ceci: «Aujourd'hui, si nous avons le sentiment d'être bloqués, ce n'est pas parce que nous n'aurions pas les moyens de nos ambitions ; c'est au contraire parce que nous n'avons pas les ambitions à la hauteur de nos moyens!» Voilà qui est directement décalqué d'une réflexion mémorable de Sénèque: «Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, mais c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles», conseille, dans une lettre à son ami Lucilius, le philosophe romain qui est mort en s'ouvrant les veines à la demande de Néron l'empereur.
Dans un registre plus léger, quand on lui demande comment il qualifierait la politique économique du quinquennat, le jeune ministre de Bercy parle d'«ambiguïté créatrice». De quoi clouer le bec à ses interlocuteurs toujours prêts à ricaner sur l'indécision de François Hollande. Avec ces deux simples mots, Macron se donne une double caution. Celle de Joseph Schumpeter, l'économiste prestigieux selon qui «la destruction créatrice» explique la vitalité des économies capitalistes capables de se renouveler sans cesse tel le phénix renaissant de ses cendres. Mais il fait également référence à «l'évolution créatrice» d'Henri Bergson, lequel considère ainsi que le monde «s'invente sans cesse», il n'y a pas de programme préétabli. Vive donc «l'ambiguïté créatrice», qui tord le cou aux conservatismes, de droite ou de gauche.
Macron oppose les «insiders» aux «outsiders», une grille de lecture que le sociologue et philosophe Norbert Elias a été le premier à conceptualiser.
Lorsqu'il présenta, le 15 octobre 2014, le projet de loi qui allait porter son nom, Macron fit un pied de nez à tous les préjugés de l'échiquier politique en se plaçant sous la tutelle du père Henri-Dominique Lacordaire (1802-1861), grande figure du catholicisme social. Lequel est resté célèbre par cette formule, «entre le riche et le pauvre, le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui protège». Là encore le ministre se garde bien de donner sa source. Mais il s'en inspire clairement, tout en s'en démarquant. Qu'on en juge: «C'est souvent vrai et historiquement, la loi a protégé le faible comme le dit l'adage (sic). Mais lorsqu'on a trop de normes, lorsqu'elles s'accumulent, c'est mauvais là aussi pour l'économie et c'est mauvais pour les plus faibles, c'est mauvais pour les plus fragiles», s'insurge Macron. Il estime que la multiplication des normes et des réglementations conduit à creuser les inégalités sociales.
Car «la complexité, c'est surtout le problème de celui qui n'est pas dans le droit», dit-il. Sus aux exclus du «système», qui n'entrent dans aucune des cases corporatistes, les professions réglementées, les notaires entre autres. En termes plus théoriques, Macron oppose les «insiders» aux «outsiders», une grille de lecture que le sociologue et philosophe Norbert Elias a été le premier à conceptualiser et dont la découverte est tombée dans le domaine public de l'analyse sociologique (The Established and the Outsiders, 1965).
Si son goût des concepts et des figures mythologiques est louable, il arrive parfois à Macron de faire chou blanc faute d'avoir été suffisamment explicite. «Ne faisons pas comme les trois petits singes» a-t-il lancé en mars 2015, lors de son premier meeting électoral des départementales, à Fresnes (Val-de-Marne). Une allusion aux singes de la sagesse asiatique, l'un qui se bouche les oreilles, l'autre les yeux et le troisième la bouche. Ne pas voir, ne pas entendre, ne pas parler, tel est le paradigme des sociétés bloquées et des débats politiques bouchés à l'émeri, ce qui est souvent le cas en France. Mais ce soir-là bien peu de gens à Fresnes ont compris la formule des trois singes.
Il évoque Gilles Deleuze, le magnifique anarchiste ennemi juré de toute forme de dogmatisme.
Dans une interview à l'hebdomadaire Le 1 de cet été, il évoque les philosophes qui l'ont marqué. Vient en tête Aristote, qui a fait le tour des sciences de son temps, mais pas Platon, le prince de l'idéalisme. Outre les grands classiques que se doit d'étudier tout khâgneux, il rappelle ses liens quasi filiaux avec Paul Ricœur, ce grand esprit qui fut le malheureux doyen humilié de la faculté de Nanterre au printemps 1968. «C'est Ricœur qui m'a poussé à faire de la politique, parce que lui-même n'en avait pas fait. Il m'a fait comprendre que l'exigence du quotidien, qui va avec la politique, est d'accepter le geste imparfait.» Il évoque également le marxiste Étienne Balibar, un de ses professeurs, mais aussi Gilles Deleuze, le magnifique anarchiste ennemi juré de toute forme de dogmatisme.
Autant de voies plus vivifiantes que l'ENA, cette école de formation administrative, que Macron arpenta ultérieurement, ou que les officines plus ou moins secrètes d'où sortent les apparatchiks de nos partis politiques. Le ministre de l'Économie reproche à ces derniers de ne plus avoir «d'idéologie politique… de construction intellectuelle qui éclaire le réel en lui donnant un sens». Et de préciser, dans Le 1, que «les partis n'ont plus de base idéologique. Ils vivent sur une base d'appartenance et la rémanence rétinienne de quelques idées». On comprend qu'il soit mal aimé au PS. Socrate a été condamné à mort pour moins que ça.