1 Août 2015
J'ai pensé que ce récit relatant la vie sur une Habitation, à la Guadeloupe au XIX ème siècle, peu après l'abolition de l'esclavage ( 1848 ) pouvait intéresser les Guadeloupéens, toutes ethnies confondues, et bien d'autres au-delà de ces personnes plus particulièrement concernées.
Ce texte n'est pas de l'histoire, au sens strict du terme. Mais il est un « document » sur la vie quotidienne en ce temps là, situé et daté, par un témoins-acteur de l’époque. Un document donc, utile à une connaissance vraie, je veux dire tendant à dépassionner, et à offrir une vue non idéologique du passé, en admettant que cela soit possible.
La vie sur les plantations n'était pas idyllique. Nous le savons. Elle n'était pas non plus probablement « l'enfer » qui nous est décrit par des gens d’aujourd’hui qui ont peu de souci de l'exactitude des faits, mais des objectifs autres.
Ce texte, écrit par Aug. de Lauréal, ( probablement Augustine, - voir plus loin - de vieille famille blanche créole de la Guadeloupe ) décrit la vie sur sa plantation, dans les dernières années avant l'abolition. Il a été publié dans le périodique La semaine des familles, dont je possède quelques exemplaires, en novembre 1859.
La propriété de Gentilly, se trouve à l'est de la Grande Terre, entre Sainte Anne et Saint François. ( voir la localisation exacte sur la carte publiée en tête d’article ).
J'ai pensé que ce document pouvait plaire aux lecteurs du Scrutateur, et leur être utile aussi.
LS.
( Ce récit, en dépit de tout son intérêt, pourra paraître a certains un peu idyllique.
Il sera suivi demain d’un article de M. Michel Rogers, dans Paris-Match, que je me permettrai de commenter ( LS ).
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« Une habitation, aux Antilles, constitue une sorte de village, et la demeure du propriétaire en est le château; de ce lieu respecté émanent le pouvoir ou le gouvernement du petit peuple dont les cases rayonnent ou s'alignent aux environs, suivant la disposition du terrain. Je choisis pour modelé la propriété de Gentilly, l'une des plus belles de la Grande-Terre.
La maison, reconstruite en bois après la rentrée des émigrés, s'élève de plusieurs degrés au centre d'une immense pelouse soigneusement entretenue ; les vastes appartements, commodément distribués, ventilés par autant de persiennes qu'il était possible d'en assembler, justifient ce mot de M. de Cassagnac : C'est bien la théorie du soufflet faite maison. Les bâtiments de servitude se développent à droite et à gauche et se terminent par quatre salles destinées aux esclaves malades : c'est l'infirmerie. Quelques marches conduisent à un charmant parterre où croissent à profusion des rosiers de diverses espèces, des dahlias, des gardénias, des fastrémias semblables à des ( festons ) de crêpe rosé. Des murraïas taillés en boule se dressent au milieu de plates-bandes de plantes plus délicates, et donnent asile à des essaims d'abeilles et de colibris étincelants d'émeraudes et de rubis, butinant sur ces branches qui fléchissent sous leur blanche et odorante parure. Au fond du parterre, des lauriers-roses gigantesques se mêlent à des cassia aux grappes jaunes, à des lianes aux souplcs girandoles lilas, et à des azédéras au feuillage élégant, aux fleurs teintées de violet foncé et de gris clair. De charmantes asclépias couleur de chair, aux feuilles épaisses, d'un vert glauque, serpentent sur les balustrades et. semblent une décoration genre rocaille qui aurait quitté les salons de nos aïeules pour venir revivifier ses riches -nuances, aux rayons fécondants de ce soleil de feu. Un magnifique tamarinier entouré de bancs peints en vert offre un frais ombrage aux fumeurs; des palmistes plantés sans symétrie avec une feinte négligence complètent l'agréable ensemble de cette résidence.
A l'une des extrémités de la pelouse se trouve le moulin à vent; il se compose d'une robuste tour de maçonnerie en forme de cône tronqué, haute de trente-cinq pieds environ ; la partie supérieure qui termine le cône est en charpenterie et peinte en gris; à l'endroit où le bois succède aux moellons, partent quatre ailes grandes en proportion de la tour qui les supporte, et garnies de voiles que les noirs serrent ou déroulent facilement à l'aide d'un système emprunté à la marine. Une pièce de bois longue d'une cinquantaine de pieds et appelée queue s'insère dans cette charpente mobile figurant un chapeau chinois, et sert à orienter les ailes dans le point où souffle le vent.
Rien n'est plus animé qu'une habitation pendant la récolte et quand il fait bonne brise. Les noirs; oublient alors leur indolence habituelle. La négresse, debout sur une estrade surmontée d'une table à rebords qui touche aux cylindres de la machine, leur présente avec une incroyable rapidité les paquets de cannes, qu'elle entr'ouvre à mesure que ses compagnes les jettent bruyamment sur la table; tout en travaillant avec activité, elle chante sur un mode très-vif des airs auxquels les autres négresses répondent en chœur, en entremêlant de danses leurs allées et venues. Plusieurs noirs, placés dans la partie opposée des cylindres les débarrassent des bagasses qu'ils rejettent, tandis que leurs camarades les emportent par brassées pour les ranger plus loin en meules énormes. C'est là le combustible qui alimente l'usine. Les charrettes chargées de cannes arrivent successivement au grand trot des mulets, et déposent avec fracas leur fardeau.
Le garde-moulin est le seul acteur de la scène champêtre qui conserve une gravité impassible, c'est le pilote chargé de la police et de la surveillance de ces dispendieuses installations qui empruntent quelques particularités à la marine; il est toujours chaudement drapé dans un grossier paletot, la tête coiffée d'un chapeau de toile cirée pareil à celui des matelots, pendant que les autres travailleurs sont très-légèrement vêtus; le torse des hommes est entièrement nu ; les femmes n'ont que leurs jupes; un mouchoir de couleur, attaché autour du cou et de la taille, voile la poitrine, en laissant à découvert les bras et le dos. Sitôt qu'un grain s'annonce à l'horizon, le garde-moulin appelle ses gens pour changer l'orientation des ailes.
Celui de Gentilly était un type curieux a observer; c'était un homme d'une force athlétique, très-intelligent, et qui possédait une connaissance du temps aussi parfaite que le plus vieux marin. Zénon, c'est ainsi qu'il s'appelait, était connu dans les communes voisines, et ses autres confrères avaient toujours les yeux sur le moulin de Gentilly dans les moments périlleux. Audacieux a l'extrême, il aimait jouer avec le danger, et à constater, quand l'occasion s'en présentait, son privilège de désobéir impunément. Qu'une nuée menaçante fût sur le point de s'abattre, le visage de Zénon rayonnait aussitôt et devenait beau d'expression. La main posée sur la queue du moulin, comme le marin sur son gouvernail, les vêtements fouettés par la bourrasque, il résistait opiniâtrement à toute injonction de son maître. « Dévente donc, Zenon! criait .M. de L... — N'ayez pas peur, maître. — Peur ou non, je t'ordonne de déventer.— Non, maître, non... » Et quand la colossale machine, tremblant dans tous ses joints, paraissait près de s'effondrer Zenon hélait les noirs d'une voix de Stentor qui dominait le vacarme, évitait le péril par une manœuvre soudaine et habile, et jetait ensuite un, regard triomphant autour de lui.
Le tremblement de terre, faillit le rendre fou de douleur ; son moulin tant aimé n'existait plus. Pendant que les noirs éperdus, fuyaient de toutes parts Zenon était déjà rendu près de l'objet unique de ses regrets; il se jetait à genoux, levait les bras au ciel, se relevait, retombait la face contre terre, puis revenait auprès du propriétaire.
— Que veux-tu, Zenon? lui disait celui-ci; il faut penser à des malheurs encore plus grands. Vois ces malheureux qui périssent probablement dans les flammes...
— Oui, maître, c'est vrai, répondait le noir d'un air pénétré; mais mon moulin, mon moulin ! reprenait-il en recommençant ses doléances et ses larmes.
— Eh bien, nous en referons un autre; console-toi, nous n'y pouvons plus rien.
— Oh! oui, maître, nous en ferons un autre, n'est-ce pas? Mais, voyez-vous, j'aimais tant celui-là; je l'ai vu bâtir; maîtresse n'était pas encore née dans ce temps-là.
Le jour où l'usine réédifiée ouvrait ses portes au préfet apostolique qui venait la bénir, on ne peut exprimer le bonheur avec lequel Zenon lui offrit la canne ornée de fleurs que le préfet présenta, en grande pompe, aux cylindres de la nouvelle machine.
Quand vint l'émancipation, les noirs de l'habitation se dispersèrent au loin. — Et toi, Zenon, tu ne nous quittes donc pas aussi, comme les autres?
— Et mon moulin, maître ? Je veux mourir près de lui; quand je serai devenu trop vieux pour le diriger, je me ferai porter pour le voir marcher encore.
Le soir, la sucrerie offre un tableau assez pittoresque. Des lampes fumeuses, suspendues au-dessus des chaudières, répandent une lueur incertaine et vacillante dans !e vaste bâtiment. Six nègres, munis d'écumoires ou de longues palettes en bois, veillent, debout devant les chaudières, à la fabrication du sucre; une épaisse vapeur s'échappe de ces cuves en ébullition et enveloppe les travailleurs, par intervalles, sans que cette atmosphère embrasée influe le moins du monde sur l'immobilité de leurs poses. Le raffineur, reconnaissable à son tablier de toile blanche, va et vient avec une bagasse allumée à la main en guise de torche, inspecte le vezou, en constate la richesse ou le degré d'enivrage, Les petits noirs arrivent de tous côtés (c'est l'heure du souper) avec leurs pots de terre rouge, et viennent réclamer la part de ce liquide favori qu'on accorde à chacun des membres de la famille. Les gardeurs de mulets apparaissent à leur tour avec leurs baquets, pour emporter les écumes, déposées pour l'usage des troupeaux dans de grands réservoirs. Le ratier, suivi de, sa meute, s'avance prés de l'économe avec le produit de sa chasse ; après l'avoir vérifiée, il régale ses chiens de ces mêmes écumes sucrées. Les négresses circulent dans la sucrerie et apportent à manger à leurs maris et à leurs fils, car il est souvent onze heures quand la journée est finie. Le samedi, les cases à nègres sont très-bruyantes; ce jour ainsi que le dimanche appartient à l'esclave.
Les cases de Gentilly sont alignées comme de véritables rues; d'après l'avis des médecins, elles ont été débarrassées des bananiers et autres arbres dont le nègre aime beaucoup à s'entourer, mais dont la proximité, dans ce pays de plaines, .entretient une humidité malsaine. La première case à main droite est divisée en trois pièces ; celle du fond est la chambre à coucher d'un nouveau ménage. Elle est meublée d'un lit en acajou, à colonnes, ressemblant assez à ceux de l'époque de la Renaissance. Ce lit est embelli d'ornements d'un goût douteux qui ne permettent, guère de deviner l'intention de l'artiste. Une armoire, également .en acajou, contient le linge des époux. Une table placée dans un coin est littéralement. encombrée de tasses, de coupes, de flacons de porcelaine ou de cristal, de toute espèce; c'est la passion des noirs. La pièce du milieu appartient aux parents de la jeune femme, et ne contient qu'un lit en bois blanc, un coffre semblable; la paillasse qui sert de couchette est simplement couverte; d'un drap blanc, tandis que celle de l'autre appartement est drapée d'une indienne à grands ramages. Le troisième compartiment sert de salle à manger; une grande table, des chaises grossières, des étagères garnies de vaisselle en faïence, de verres et de couverts en fer battu, voilà tout le mobilier. Un petit appentis, couvert en paille comme la case, et formant prolongement à l'un des angles, sert de cuisine.
Quatre pierres disposées au centre supportent une grande marmite où cuit, la soupe, composée de pois, de racines et de lard. Les ignames et les patates de la dernière récolte sont entassées dans un coin; dans un autre, un très-grand vase en terre rouge, ressemblant un peu à une urne, contient la provision de mélasse, dont les nègres sont très-friands. Une sorte de baril, étroit à la partie supérieure et fermé au moyen d'un couvercle à cadenas, renferme la farine de manioc. Adossée contre l'une des parois extérieures de la case, une petite étable faite de branches treillissées abrite une truie, ses petits et un port à l'engrais; des débris de caisses se sont transformés en garennes. Des poules picorent aux alentours.
Le ratier est assis à la porte de sa case; il est âgé, courbé par les ans; sa tête nue est couverte d'une épaisse laine blanche; sa barbe, de même couleur, contraste fortement avec le noir de la peau ; ses chiens sont étendus çà et là, se reposant de la chasse de la veille; le vieux nègre fait des cordes de karatas pour les vendre le lendemain au marché du bourg. Sa femme, assise aussi par terre, égrène du ricin répandu sur une nappe de grosse toile bise; le soin des enfants de l'atelier la concerne; une fillette de douze ans l'aide dans cette occupation; tous les matins, les mères lui apportent les négrillons avec leurs déjeuners. La plupart de ces petits noirs sont habillés de fragments de vêtements qui flottent au gré du vent ; les autres sont entièrement, nus, il est vrai, mais la vigilance maternelle est satisfaite par le bonnet qui recouvre leur tête; faute de cette précaution, la laine qui la garnit acquiert, au contact du soleil, un reflet fauve des plus étranges. Ces enfants jouent, se battent, font un vacarme effroyable, et, quand leurs cris atteignent un diapason trop aigu pour les nerfs peu sensibles de la vieille négresse, elle les rappelle à l'ordre en lançant avec dextérité les grappes épineuses du ricin, et en menaçant d'une longue verge, qu'elle brandit d'un air significatif, ceux que le projectile n'a pas apaisés.
Des chants, des instruments à faire frémir des oreilles européennes, retentissent dans une autre rue. Un groupe de femmes accroupies ratissent les racines de manioc, tandis que les amies de la maîtresse de la case les portent dans des cuves en bois et les y lavent proprement. Des noirs, pourvus de paniers faits en lianes des bois, arrangent ces racines et les déposent à la portée des grageurs;. ceux-ci, penchés sur la large plaque de cuivre rouge rapent le manioc avec une vivacité cadencée, en rapport avec les chants. De temps en temps, et suivant leur inspiration personnelle, les grageurs, saisissant une des blanches racines dans chaque main, se livrent à une ou deux gambades ébouriffantes, les accompagnent d'un pareil nombre d'inflexions gutturales à leur choix, qui servent de fioriture à l'orchestre. Les chanteuses forment un demi-cercle devant les grageurs. Trois nègres au plus, à cheval sur des tambours, dont l'une des issues est ouverte, les frappent avec les doigts, et déploient une précision singulière dans cet accompagnement sauvage; ils entremêlent cette musique instrumentale de grimaces et de contorsions à faire pâmer de rire. Un autre noir, debout à leurs côtés, joue d'un étrange instrument; c'est un gros bambou, long de six pieds, incisé d'entailles profondes, irrégulièrement distribuées, sur lesquelles le musicien promène alternativement de haut en bas, et en mesure, deux minces baguettes. Cet instrument, appelé wacha, produit les sons les plus rauques et les plus assourdissants que 1'ouïe humaine puisse endurer.
Le reste de l'atelier danse devant les musiciens et les chanteurs, et fait assaut de souplesse de jarret, d'attitudes grotesques et de poses étranges ».
aug. de-lauréal.
( A ) Famille de Lauréal ( Gpe ).
http://www.ghcaraibe.org/bul/ghc093/p1984.html
NDLR Plutôt que d'écrire deux fois la généalogie, nous
avons complété directement ci-dessus les éléments généalo-
giques fournis par Michel Maison. La famille COUDROY (de
LAURÉAL) est très notable et... très nombreuse en Guade-
loupe. Quant à l'origine, les registres de Ste-Anne
antérieurs à 1733 ayant disparu, il est difficile de
l'affirmer. D'où tenez-vous que c'est Clermont en Ariège ?
Christophe de Jorna, avec qui nous étions en correspon-
dance en 1981-1984, disait qu'il y aurait eu en Guadeloupe
copie du baptême le 4 janvier 1673, à Clermont diocèse de
Dax, d'Armand COUDROY fils de Simon et Jeanne DUFAUT et,
aux archives départementales de Loire Atlantique (rôle
d'armement de navires au départ de Nantes), embarque le 23
2 1700 sur Le Généreux, pour la Guadeloupe, Jean COUDROY,
fils de Simon, de Dax, 26 ans (Jean et Armand seraient
donc la même personne).
Jean Charles COUDROY, un de ses fils, fut anobli en 1773
et fit établir, le 11 3 1774, la preuve de ses vrais noms,
ceux de sa femme et de ses enfants, les registres de Ste-
Anne ayant disparu (AD Guadeloupe, 1B5, folios 335 verso à
346 recto). Ce n'est qu'avec ses enfants qu'on voit appa-
raître des noms de branches, dont COUDROY de LAURÉAL
(autres : COUDROY LOERY et COUDROY BOTTÉ).
( B ) Augustine COUDROY de LAUREAL
(L'auteur du texte que vous avez lu pourrait être Augustine Coudroy de Lauréal. ( selon les dates de rédaction, ou du moins de publication du texte. – voir les données généalogiques. Si des lecteurs pouvaient nous adresser des corrections d'ordre généalogiques, leurs précisions seraient les bienvenues ).
La famille de Lauréal, qui fut très nombreuse en Guadeloupe, semble éteinte ici ( sous ce nom ) J’ai connu, j’avais alors 5 ou 6 ans, une vieille dame, de Lauréal, qui tenait un commerce, rue Thiers ( actuellement rue Saint-John Perse ) non loin de la darse de Pointe-à-Pitre. J’étais très jeune, mais j’en ai gardé un souvenir très vif, ainsi que des lieux de son activité professionnelle. J'en ai connu une autre, Madeleine de Lauréal, qui tenaient les orgues de l'Eglise du Moule. ( LS )
Parents
Union(s)
Frères et sœurs
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