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12 Mai 2015
Louis Dessout nous adresse cet article paru dans le Figaro, et en assure la présentation critique.
LS.
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Le dispositif d'aide aux départements d'outre-mer est un désastre total.
Chaque mois, la publication des statistiques du chômage met le pays en émoi. Mais curieusement elles portent exclusivement sur la «France métropolitaine» (sic), soit 3,510 millions de demandeurs d'emploi en mars 2015. Pôle emploi et le ministère du Travail connaissent pourtant les chiffres de l'ensemble du pays, départements d'outre-mer (DOM) compris. Mais ils ne communiquent que sur «la métropole».
Cette distinction est doublement choquante. Sur la forme, il s'agit d'un relent de colonialisme. Le terme «métropole» désigne en effet «le territoire d'un État considéré par rapport à ses colonies», dixit le Littré. Et sur le fond, les pouvoirs publics entendent ainsi minimiser un bilan qui serait plus noir encore avec les DOM, traités de facto comme des colonies. Ces territoires, principalement les Antilles françaises et la Réunion, dont les populations ne dépassent pas 2,1 millions au total, comptent 258.500 chômeurs. Ce qui est énorme: alors que la «France métropolitaine» a une démographie 31 fois plus élevée (64,2 millions), le chômage s'y établirait à 8 millions s'il était aussi répandu que dans les DOM!
«Dans les départements d'outre-mer, seulement une personne sur deux, âgée de 15 ans et plus, est en activité»
Dans une étude récente de l'Insee
C'est dire combien est calamiteuse la situation de ces régions que le président de la République a décidé de toutes visiter pendant son quinquennat. On rappelle à l'Élysée que la Guyane a voté à 71 % François Hollande en 2012, record absolu des 106 départements. L'hôte de l'Élysée, qui a débarqué à Fort-de-France ce week-end, a peut-être emporté avec lui Tristes tropiques, le livre culte de Claude Lévi-Strauss publié en 1955 dans lequel l'ethnologue exprimait le désarroi de ces territoires face au monde moderne: rien n'a changé. Et le déphasage n'est pas près de se résoudre.
«Dans les départements d'outre-mer, seulement une personne sur deux, âgée de 15 ans et plus, est en activité», note une étude récente de l'Insee portant sur la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion. La population active regroupe, selon la définition usuelle, les gens ayant effectivement un travail et ceux qui en recherchent. En réalité, à peine 42 % des personnes en âge de travailler ont effectivement un emploi en Guyane, et c'est pire ailleurs. Quant au chômage, il frappe 21,3 % de la population active guyanaise et va jusqu'à 29 % à la Réunion. Ce dernier taux est d'autant plus pitoyable que dans l'île Maurice, la voisine de l'océan Indien indépendante depuis 1968, le chômage ne dépasse pas 8 %.
Et pourtant les emplois publics se déversent à flot dans les «confettis de la République» comme on les appelle parfois. L'Insee souligne que «le secteur public concentre 42 % du total des salariés martiniquais». Et alors que l'Hexagone est réputé pour ses bataillons de fonctionnaires (2,54 pour 100 habitants), le taux est encore plus élevé dans les DOM, 3,31 en moyenne selon la Cour des comptes.
L'administration publique coûte en outre extrêmement cher du fait «des compléments de rémunération des fonctionnaires d'État outre-mer», primes d'éloignement, de vie chère, d'installation, etc. La Cour des comptes, dans son rapport 2015, a dénoncé vertement ce dispositif datant de 1950, quand il fallait six jours pour se rendre en paquebot dans les Caraïbes. Selon les sages de la rue Cambon, les surrémunérations vont de 40 % dans les Antilles à 53,6 % à la Réunion. Pour les 91.000 fonctionnaires civils de l'État concernés, la note des finances publiques s'est élevée à 1,18 milliard d'euros en 2012.
La Cour des comptes regrette par ailleurs que «les surrémunérations ont été élargies au fil du temps aux agents de la fonction publique territoriale». Le pire est que cette générosité plombe l'ensemble du secteur privé: «Les caractéristiques propres aux rémunérations et retraites versées outre-mer contribuent à entretenir un niveau élevé des prix et des coûts salariaux et nuisent donc à leur compétitivité», expliquait déjà en 2012 Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France.
Le système économique des DOM est fondé sur la subvention, l'exonération et ladéfiscalisation, les trois mamelles de l'assistanat. Le dispositif d'incitation fiscale à l'investissement «Girardin» (du nom d'une ministre de l'Outre-mer de Jacques Chirac) a coûté 1,1 milliard d'euros en 2013 «pour des investissements réels de l'ordre de 2 milliards d'euros», fustige la Cour des comptes. Elle préconise vainement d'année en année sa suppression. Par ailleurs, les exonérations de cotisations sociales des entreprises, que la France est autorisée à accorder, sous le contrôle de Bruxelles, se montent à 973 millions d'euros l'an.
Quant au smic, le même qu'en métropole, sans aucun rapport avec le niveau de productivité des DOM deux fois moindre que la moyenne française, il n'est pas pour rien dans le chômage vertigineux des jeunes. Près de 70 % des Martiniquais de moins de 25 ans (source Insee) sont à la recherche d'un emploi. Ce qui explique aussi pourquoi l'industrie touristique antillaise, sous-compétitive, est incapable d'attirer les visiteurs américains (à peine 1 % des touristes en Guadeloupe).
«Diviser pour régner»: tel était l'adage de la Rome ancienne pour gérer ses colonies, laissant à chacune toute latitude pour s'adapter à son environnement spécifique. La France centralisatrice et égalisatrice fait exactement le contraire avec ses DOM. Et nous ne sommes pas près d'apprendre la leçon des Romains, puisque Mme Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, a décidé de dévitaliser l'enseignement du latin. Au nom de ce même égalitarisme borné qui fait tellement de ravages aux Antilles, nos tristes tropiques.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 11/05/2015.