8 Mai 2015
C'est mon ami Jean-Claude Maran, qui en publiant la photo ci-contre de la cathédrale de St-Pierre, une semaine avant l'éruption de mai 1902, m'a suggéré d'offrir aux lecteurs du Scrutateur, de larges extraits d'un numéro de mon ancien magazine mensuel Guadeloupe 2000, qui avait consacré à St-Pierre la moitié d'une de ses livraisons en décembre 1986. ( la deuxième photographie est celle d'un fragment d'une statue du Christ retrouvée dans la cathédrale, après l'éruption ).
Cette partie spéciale avait été conçue, en tant que maître d'oeuvre par madame Michèle Robin-Clerc, architecte et Guadeloupéenne, qui séjournait alors en Martinique, dans la commune de Schoelcher.
L'introduction du dossier avait été confiée à un grand Martiniquais M. Clovis Beauregard.
Je rappelle la possibilité d'agrandir les photographies en pointant celles-ci et en actionnant la roulette de la souris, tout en appuyant sur la touche Ctrl, à gauche du clavier. ( ces détails pour ceux qui sont encore plus nuls que moi en manipulations informatiques ).
LS.
EN GUISE D'AVANT PROPOS: PAR CLOVIS F. BEAUREGARD
II est particulièrement réjouissant de noter que cet excellent travail de Madame Michèle Clerc Robin, sur les ruines de Saint-Pierre de la Martinique sera publié dans le magazine «Guadeloupe 2000».
«Quand la culture est au coin de la rue, il faut la regarder, il faut la protéger» écrit l'auteur.
En la circonstance, le c®in de rue auquel elle se réfère fût, dans le passé, notre passé, l'un des brillants carrefours de la Région des Caraïbes. Saint-Pierre, faut-il le rappeler fût, en effet, une grande capitale dont la renommée dépassait et de loin, les rives des seules îles françaises : centre culturel rayonnant, elle régnait sur toute la région. Centre commercial d'une activité des plus intenses pour l'époque, les flottes innombrables de navires qui fréquen-
taient sa rade, la reliaient à l'Europe et aux portes du Nouveau Monde. Saint-Pierre diffusait - par son célèbre théâtre et ses autres multiples activités dont le carnaval - à l'intention du Nouveau Monde, cette culture du vieux continent et aussi du continent Africain dont nous sommes tous pétris, qu'il s'agisse du grand et puissant voisin de l'Amérique du Nord ou de ceux plus proches du Bassin des Caraïbes ou encore des autres de l'Amérique Latine.
Se rappelle-t-on que les pavés de pierres qui, il n'y a pas longtemps, garnissaient les rues montantes de Basse-Terre en Guadeloupe et celles de Saint-Pierre et que l'on peut voir dans les photographies illustrant le travail de Madame Clerc provenaient de la vieille Europe. Ils avaient servi à lester les
innombrables vaisseaux venus d'outre-Atlantique chercher le sucre, le pétun, le rhum et autres épices dont nous avions alors le privilège de production. On retrouve également ces mêmes pavés en Amérique centrale : A l'entrée de port de Bélize city, il existe un îlot minuscule appelé «l'Europe», c'était là qu'au même point les navires venus chercher nos précieuses matières premières, déchargeaient leurs lests de pierre avant d'entrer au port.
Le patrimoine culturel inestimable, constitué par les murs et les ruines de Saint-Pierre n'est donc pas exclusif aux seuls martiniquais. Il devrait intéresser, au même titre l'Europe du vieux continent aussi bien que le nouveau monde dont fait partie le Bassin des Caraïbes.
Rappel historique, état des lieux qu'il fallait établir, le travail de madame Clerc est, à la fois, un témoignage de notre temps et, surtout un cri d'alarme lancé par un technicien qualifié en face d'un péril en voie de se consommer. Cet appel ne peut pas ne pas être entendu !
Aussi, ce n'est pas trop s'aventurer que de penser, qu'il pourrait être demandé à la communauté Européenne, de contribuer, dans une cer-. taine mesure et d'une certaine manière, à la conservation de ce Patrimoine culturel, témoin d'un passé lié à la diffusion de la culture de l'Europe au nouveau monde et à l'expansion dans la région, de ses intérêts...
Clovis F. BEAUREGARD
SAINT PIERRE, AVANT LA CATASTROPHE
... Nous avons débarqué à Saint-Pierre, la plus bizarre, la plus amusante et cependant la plus jolie de toutes les villes des Antilles françaises. Elle •est entièrement construite de pierre, pavée de pierre, avec des rues très étroites, des auvents en bois ou en zinc, des toits pointus de .tuiles rouges percés de lucarnes à pignons. La plupart des maisons sont peintes d'un jaune clair qui contraste délicieusement avec le brûlant ruban bleu du ciel tropical qui les domine : aucune rue n'est absolument plate : presque toutes escaladent des collines, tournent, s'entrelacent et décrivent des angles brusques. On entend partout le murmure bruyant d'eau courante qui coule dans les profonds ruisseaux creusés entre la chaussée pavée et les absurdes petits trottoirs qui sont d'un à trois pieds de large... L'architecture est ancienne, du XVIIe siècle sans doute et rappelle beaucoup celle qui caractérise le vieux quartier français de la Nouvelle-Orléans. Toutes les teintes, toutes les formes, toutes les vues semblent avoir été choisies tout spécialement pour servir d'études d'aquarelles et satisfaire le caprice de quelque artiste extravagant. Les fenêtres sont des ouvertures sans châssis et sans vitres ; toutes sont pourvues de lourds volets aux lattes mobiles, à travers lesquels l'air et la lumière pénètrent par des stores vénitiens. Les volets sont en général peints en vert ou en bleu-gris très vif.
Les rues descendent vers le port par de vieux degrés de pierre moussue, et elles sont si escarpées, qu'en regardant en bas vers l'eau bleue, on a l'impression d'être sur une falaise. Par certaines échappées dans la rue principale, -la rue Victor Hugo, - on a une vue à vol d'oiseau du port et des navires. Les toits de la rue voisine sont à la hauteur de vos pieds, et d'autres rues grimpent derrière vous à la rencontre des sentiers de montagne. Elles montent, très escarpées et se terminent parfois en des degrés de rochers de lave tout moussus et touffus d'herbe.
La ville a un aspect de grande solidité ; c'est une création de roc ; on dirait presque qu'elle a été taillée dans un fragment de montagne, au lieu
d'avoir été construite pierre par pierre. Les maisons ne comprennent en général que deux étages et un grenier, mais elles ont des murs de trois pieds d'épaisseur. Dans une des rues, face à la mer, les murs sont encore plus épais et s'avancent comme des remparts, de sorte que les recoins perpendiculaires des portes et des fenêtres donnent l'impression de s'ouvrir entre des arcs-boutants. Ce fut peut-être comme précaution contre les tremblements de terre et aussi par souci de la fraîcheur que les premiers architectes coloniaux construisaient ainsi, assurant à la ville une physionomie si digne de son nom, - le nom du saint du rocher.
Et partout coule l'eau de la montagne, fraîche et claire, nettoyant les rues. De temps à autre, on rencontre une fontaine publique lançant vers le soleil sa plume argentée, ou faisant pleuvoir des embruns scintillants sur un groupe de Tritons noirs et de cygnes de bronze. On n'oublie pas facilement les Tritons de la place Bertin. Leurs torses recourbés pourraient avoir été modelés d'après les formes de ces hommes noirs qui peinent inlassablement toute la journée sur cette place dans la chaleur accablante, à rouler les barils de sucre ou des tonneaux de rhum. Et on remarque souvent, au cours d'une promenade, de petites fontaines d'eau potable creusées dans l'angle d'une maison et dans les murs épais bordant les boulevards ou les jardins publics : fils d'eau brillants qui jaillissent des gueules des lions de pierre... C'est un torrent des montagnes habilement capté et réparti qui rafraîchit continuellement la ville, alimentant les fontaines et nettoyant les cours. C'est l'eau de la Goyave, et ce n'est pas le même ruisseau qui nettoie les rues. Du pittoresque et de la couleur : voilà les charmes particuliers et incomparables de Saint-Pierre. En suivant la Grand'Rue ou la rue Victor Hugo qui traverse la ville sur toute sa longueur, ondulant par-dessus les pentes des collines et franchissant un pont, on est de plus en plus enchanté par le contraste que forment les murs jaunes ombragés avec l'étroit ruban déchiqueté du ciel bleu de gentiane. Du côté inférieur de la voie principale d'autres rues s'ouvrent sur de merveilleuses échappées d'azur : l'azur
chaud de l'horizon et de la mer. Les marches qui descendent de ces rues jusqu'à la baie sont noircies par l'âge et un peu moussues sur les bords : là où elles touchent le mur elles ont une déclivité alarmante et il serait facile de tomber d'une rue haute dans une rue inférieure. En regardant vers la mer par des trouées dans la Grand'Rue, on remarque que la ligne d'eau du port coupe l'espace bleu au niveau de l'étage supérieur d'une maison à l'angle de la rue inférieure. Parfois, à cent pieds au-dessous de soi, on voit un navire qui se repose dans Panfrac-tuosité bleue comme suspendu dans le ciel, ou flottant dans la lumière bleue. Et partout et toujours, au soleil et à l'ombre, l'odeur de la ville parvient jusqu'à vous, - l'odeur caractéristique de Saint-Pierre ; odeur composée qui rappelle un mélange d'ail et de sucre, et ces étranges rr\ets tropicaux si chers aux~créoles.
LAFCADIO HEARN
«Un voyage d'été aux tropiques»
Qui fut Lafcadio Hearn? : http://fr.wikipedia.org/wiki/Lafcadio_Hearn
Cet article a suscité, depuis sa parution il y a deux heures, parmi d'autres, un commentaire de M. François Dormoy.
Il signale des écrits de survivants de sa famille, qui figurent au bas de la colonne à gauche du document ( en cliquant ) qu'il m'envoie, et dont voici le lien : http://dormoy.com/Gen2/Histoire%2000.htm