Droit de réponse de madame Caroline Oudin-Bastide.
Bonjour Madame Oudin-Bastide,
Le texte de vous, que j'ai cité dans un dossier paru hier ( http://www.lescrutateur.com/2015/04/dossier-quand-l-historien-de-gauche-jean-francois-niort-decouvre-en-guadeloupe-a-son-detriment-un-racisme-pulsionnel-et-negriste-par ) sur Le Scrutateur, est le premier paragraphe d'un écrit de vous reçu d'un correspondant ami. Je savais qu'il faisait partie d'un ensemble plus long paru en réponse à un article paru sur un blog de la mouvance de Mediapart, celui d'un certain J-P Anselme, que j'avais reçu en PDF, par une autre source, en sa totalité, mais un texte « bloqué », et que je n'ai pu transférer. En revanche le paragraphe publié par mes soins, était joint à un autre document ( non bloqué ) comportant le texte d'une autre personnalité qui figure, elle aussi, au dossier d'hier.
Comme dans ce dossier que je constituais il était également question de « l'affaire » Nicolas Chaulet, j'ai donc utilisé le paragraphe en question ( en libre accès ) avec la conscience d'autant plus tranquille que l'ensemble de votre argumentation sur le blog Anselme, correspondait tout à fait à ma pensée personnelle.
C'est donc sans réticences d'aucune sorte que je publie votre « Droit de réponse » qui est, à mes yeux, bien plus une utile précision de votre part qu'une injonction conflictuelle.
Enfin, après vos précisions, les lecteurs du Scrutateur trouveront votre texte en son entier, que j'ai trouvé, ce matin, sur Médiapart, dont je ne savais pas qu'il s'y originait, avant que vous ne me le signaliez.
Veuillez agréer, madame, l'expression de mes sincères salutations
Edouard Boulogne.
Droit de réponse :
|
Je vous demande de publier le droit de réponse suivant: |
|
|
Texte intégral de madame Oudin-Bastide, en commentaire à un texte paru sur Mediapart :
31 mars 2015 | Par Les invités de Mediapart – Mediapart.fr
Caroline Oudin-Bastide, historienne de l’esclavage aux Antilles françaises, répond au billet
de blog de Jean-Pierre Anselme , mis en ligne sur Mediapart le vendredi 27 mars et dans
lequel un tract, signé par plusieurs organisations, dénonce un historien de la Guadeloupe.
Nicolas Chaulet, membre d’une ancienne famille blanche autrefois propriétaire d’esclaves à
la Guadeloupe, aurait tenu, lors d’une altercation avec un noir dans un restaurant, les
propos suivants à l’égard d’un afro-antillais : « Sale nègre ! Fils de pute ! Esclave ! Fils de
vieille négresse ! C’est moi Nicolas Chaulet qui te le dit, les nègres ont toujours été les chiens
des Chaulet ! Kounya manman-w, makak ! Un petit nègre comme toi ne peut pas faire peur à
un Chaulet ! Je vais te faire tuer, sale petit nègre ! ». J’écris « aurait tenu » dans la mesure
où Nicolas Chaulet affirme dans un droit de réponse publié sur le site Bondamanjak que
c’est lui qui a été victime d’injures à caractère racial lors de cet incident et qu’il n’a pas
proféré le chapelet d’insultes dont on l’accuse. En employant le conditionnel je ne cherche
pas un faux-fuyant me permettant de ne pas me prononcer sur cette affaire, je respecte un
principe démocratique fondamental : la présomption d’innocence. La justice, saisie par les
deux parties, a le devoir impérieux de démêler le vrai du faux.
Il est indéniable, quoiqu’il en soit, que cette affaire résonne avec d’autres propos,
incontestables ceux-là, tenus à diverses reprises par des békés.
Je ne reviendrais que sur les déclarations d’Alain Huygues-Despointes, proférées lors d’une
émission diffusée sur Canal+ en 2009 : « Quand je vois des familles métissées avec des
Blancs et de Noirs, les enfants sortent de couleurs différentes, il n’y pas d’harmonie. Il y en a
qui sortent avec des cheveux comme moi, il y a d’autres qui sortent avec des cheveux crépus,
dans la même famille, avec des couleurs de peau différentes, moi je ne trouve pas ça bien.
On a voulu préserver la race » ; « Les historiens, ajoutait-il, ne parlent que des aspects
négatifs de l’esclavage mais il y a eu de bons côtés aussi. C’est là où je ne suis pas d’accord
avec eux. […] Il y a des colons qui étaient très humains avec leurs esclaves, qui les ont
affranchis, qui leur donnaient la possibilité d’avoir un métier, des choses… ». Ces dires
suscitèrent, à très juste titre, une grande indignation dans l’opinion publique antillaise.
Les commentaires concernant les déclarations d’Alain Huygues-Despointes ont
généralement porté sur l’hommage rendu à l’endogamie raciale ségrégationniste des békés
(qui se constituent par là-même en caste) et sur les considérations scandaleuses
concernant « les bons côtés de l’esclavage », la mise en cause des historiens passant
presque inaperçue. Celle-ci me semble pourtant importante dans la mesure où elle nie
l’autonomie de la recherche historique par rapport au politique. Pour Monsieur Huygues-
Despointes le rôle des historiens n’est pas de questionner l’histoire à partir des sources ; ils
se doivent de répondre à ce qui correspond à son impératif mémoriel : montrer que
l’esclavage n’a pas été si terrible que cela, qu’il a eu des effets positifs.
J’ai été stupéfaite de constater que diverses organisations de la Guadeloupe (COSE, LKP,
CIPN, MIR, FKNG !(1)), dans un tract d’appel à une marche contre le racisme, les
discriminations et le mépris le 29 mars 2015, adoptent de fait, bien qu’avec un objectif
contraire, une démarche similaire. L’affaire Chaulet « intervient, affirme ce tract, au moment
même où un historien français révisionniste, un certain Jean-François Niort, par ailleurs
membre du conseil scientifique du fameux Mémorial Act, a entrepris de mettre en avant les
" bons côtés du Code noir " ». Historien du droit, Jean-François Niort s’est efforcé d’analyser
la complexité juridique du Code noir(2) : il développe l’idée qu’il existe dans le Code noir une
coexistence de la réification juridique de l’esclave (il est un bien meuble) et de son humanité
(sa capacité de raisonner et de prendre des initiatives est reconnue puisqu’il peut par
exemple gérer un « négoce » ou « tenir boutique » pour le compte de son maître, il doit être
baptisé et catéchisé, c’est-à-dire être intégré dans la religion commune, il a accès au
mariage, toutes dispositions juridiques qui ne serait pas applicable à un animal). Cette
coexistence, explique J.-F. Niort, n’est pas contradictoire au regard du droit du XVIIe siècle
dans la mesure où celui-ci disjoint l’humanité (au sens de la reconnaissance de l’esclave en
tant qu’homme) de la personnalité juridique réservée aux hommes libres.
Si le fait que le Code noir est un texte juridique « monstrueux » sur le plan moral et
philosophique est évident, conclut l’historien, il n’est pas un « monstre juridique » dans le
sens où il est cohérent avec le droit de l’époque. Le texte de Niort est « révisionniste » au
sens positif que les historiens donnent à ce terme : il adopte une démarche critique
consistant à réviser, de manière rationnelle, certaines opinions couramment admises en
histoire et propose une nouvelle interprétation des sources. Il n’est en rien négationniste
dans la mesure où il ne conteste pas et ne minimise pas le crime contre l’humanité que
constitue l’esclavage. Comme tout écrit qui tente de poser un problème historique, il est
discutable au sens ou il mérite une discussion argumentée. En affirmant que J.-F. Niort
« met en avant "les bons côtés du Code noir" », c’est-à-dire en lui prêtant les mots d’Alain
Huygues-Despointes, les organisations signataires du tract opèrent une manipulation
indigne d’elles et de l’opinion à laquelle elles s’adressent ; en le qualifiant de
« révisionniste », terme devenu infamant, elles font barrage à toute discussion sur le texte
qu’il a publié.
Mon propos n’est au reste pas ici de défendre l’analyse de J.-F. Niort qui n’emporte pas, sur
tous les points, mon adhésion. Il est de défendre le travail de l’historien qui ne consiste pas à
renforcer un discours convenu et rassurant mais à poser de nouvelles questions à l’histoire
pour en montrer la complexité.
L’historien qui travaille sur l’esclavage est en butte à des injonctions mémorielles
contradictoires. D’un côté on lui demande, généralement au nom de la cohésion sociale,
d’éviter de parler de parler des crimes commis par des planteurs appartenant à des familles
dont les descendants sont présents, et puissants, dans les îles. De l’autre on attend de lui
qu’il s’emploie à glorifier les actes de résistance des esclaves en évitant de s’interroger sur
les moyens multiples qui ont permis au système de perdurer (parmi lesquels figurent, selon
moi, la hiérarchisation raciale et professionnelle de la masse servile mais aussi les espaces
d’autonomie laissés aux esclaves par la concession des jardins et du samedi) ; on l’insulte
par ailleurs sans vergogne lorsqu’il ose parler de l’esclavage domestique africain et du rôle
joué par certaines couches sociales et Etats africains dans la traite atlantique alors même
que nombre d’historiens africains se sont, depuis plusieurs années, emparés de ce thème.
Pour mener à bien son travail l’historien doit s’émanciper, selon Ibrahima Thioub, professeur
d’histoire à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, des mémoires victimaires ou non
repentantes, en compétition pour imposer le sens qu’elles accordent aux faits historiques(3).
C’est en effet le seul moyen d’offrir aux lecteurs des ouvrages qui leur donnent à penser et
de permettre, par là même, le développement de ce que Tzetan Todorov appelle une
« mémoire exemplaire », une mémoire qui fait du passé un exemplum en s’efforçant d’en
tirer les leçons pour en faire un « principe d’action pour le présent »(4).
(1) Collectif de l’Ouest de Sainte-Rose et des Environs, Liannaj Kont Pwofitasyon, Comité
International de Peuples Noirs, Mouvement International pour les Réparations, Fos pou
Konstwi Nasyon Gwadloup !
(2) Jean-François Niort, Code Noir, Editions Dalloz, Paris, 2012.
(3) Préface du livre du livre de Catherine Coquery-Vidrovitch et Eric Mesnard, Etre esclave,
La Découverte, Paris, 2013.
(4) Tzvetan Todorov, Les abus de la Mémoire, arléa, Paris, 1998.
URL source: http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/310315
/esclavage-la-memoire-contre-l-histoire