17 Mars 2015
« J’ai fait cela, dit ma mémoire ; je ne l’ai pas fait dit mon orgueil ». Effrayante lucidité dans ce mot de Nietzsche, tellement vérifiable, partout en ce moment, et applicable tant à la psychologie individuelle, qu’à celle des masses. On pense au mot de Céline dans son superbe et mortifiant Voyage au bout de la nuit : « Il n’y a pas d’homme non plus qui ne soit avant tout vaniteux (….). N’importe quoi dans la vanité, c’est mieux que rien du tout ».
Vaniteux, donc tricheur ! Oui, nous trichons beaucoup, et d’abord avec nous-mêmes. La recherche de la vérité, de notre vérité humaine est des plus pénibles, et des moins aimées. L’Eglise catholique l’a bien vu qui a institué le sacrement de la pénitence, et la dure, mortifiante discipline du confessionnal, le dialogue, impitoyable, en apparence, d’une sublime générosité quand l’on va au fond, au cœur des choses, avec le directeur de conscience, homme comme soi, aussi pécheur que soi, mais simple médiateur, instrument du Christ en croix. La libération de soi passe, disent les croyants, par cette humiliation du Moi pécheur, ce noyau dur de l’orgueil : « Priez pour nous pauvres pécheurs !».
On se récriera devant mon propos. « Quoi! se confesser? A un homme, livrer son intimité la plus profonde, et sa fragilité réelle à cet individu! S'humilier ainsi? Que nenni. Et pourtant.
C'est que l’homme de la modernité est trop plein de lui-même, trop bouffi de vanité, trop faible aussi, pour reconnaître le sentier escarpé, abrupt et montueux de la libération. Il préfère le psychanalyste au confesseur. Pourtant les freudiens nous transforment en poupées mécaniques. Grâce à eux, nos actions nous échappent, elles sont la simple résultante d’antécédents biologiques, sociaux, psychologiques. « Ce n’est pas ta faute » nous disent-ils ! Rien ne saurait flatter davantage l’oreille de l’homme moderne. Etonnant paradoxe quand on y songe, que cette copulation de l’orgueil avec la paresse et le mensonge. Où l’orgueilleux, coupé de Dieu, grugé par son mensonge, s’avilit en un mortel accouplement avec la paresse, et abdique sa liberté, ravalé qu’il est au statut de chose. Et, tandis que dans la « confession », si désagréables que puissent être « les aveux » à une oreille attentive, - dans le cadre d'un rite réglé et secret, - il s'ensuit le début, au moins, d'une libération, par degrés, de l'âme captive de ses errements, dans le protocole psychanalytique au contraire, il y a l'amorce d'une prise en main du "moi" par la personnalité d'un autre, le théoricien prisonnier d'une problématique incertaine ( l'une ou l'autre des théories psychanalytiques ) individu que l'on paye, au contraire du confesseur classique du rite religieux.
Réflexion incertaine que la mienne, j'en conviens, sur ce sujet délicat, qui veut seulement souligner l'importance de la médiation d'autrui dans la libération du « moi » empêtré dans ses ténèbres, mais aussi le paradoxe de tant et tant d'hommes « modernes » préférant s'abandonner aux théories alambiquées de théoriciens souvent vénaux, prétendant reconstruire des personnalités aux abois, à partir d'idéologies, tous les hommes qui s'informent le découvrent de plus en plus, particulièrement incertaines comme le montrent, pas seulement les « rivaux » du rite chrétien mais des penseurs aussi agnostiques qu'Alain, ou même Sartre.
Edgar Bay.
Photographies :
1) Rembrandt : Le philosophe en méditation.
2 ) Rembrandt : Le roi Saül, l'âme enténébrée de vapeurs noires ( la névrose, en termes plus poétiques ) est lentement "libéré" par le chant de pureté qui s'élève de la lyre et de la voix du David.
3 ) Page quatre de couverture du beau livre de Marie Balmary sur le moine et le psychanalyste.
4 ) Texte d'Alain, philosophe rationaliste et agnostique, contre la doctrine de l'inconscient.
5 ) Fiche ( non dactylographiée vue la paresse d'Edgar Bay ) du psychanalyste dissident de Freüd, Carl-Gustav Jung.