28 Mars 2015
Le Scrutateur a déjà évoqué cette affaire. Creolesways y revient, et nous y faisons écho. Il n'est pas inutile de rappeler certaines vérités, qui semblent cuire, aux commémorateurs à sens unique, et à leurs victimes dans l'ignorance. Car la vérité est révolutionnaire. C'est par le savoir et l'enseignement qu'on pourra libérer ces derniers.
LS
« [Macky Sall] c’est un descendant d’esclaves. (…) Ses parents étaient anthropophages (…) Ils mangeaient des bébés et on les a chassés du village. (…) Ceux qui sont propriétaires de la famille de Macky Sall sont toujours là, vivants. Il sait [qu’il est] leur esclave. Je le dis et je l’assume parce qu’on ne peut pas toujours cacher les vérités. (…) Vous pouvez accepter, vous, les Sénégalais, qu’il soit au-dessus de vous, mais moi, jamais je n’accepterai que Macky Sall soit au-dessus de moi. Jamais mon fils Karim n’acceptera que Macky Sall soit au-dessus de lui. Dans d’autres situations, je l’aurais vendu en tant qu’esclave (…) ».
Depuis un mois, la vidéo de cette sortie fracassante d’Abdoulaye Wade fait polémique au Sénégal. En février dernier face aux journalistes, l’ancien président entendait ainsi mettre la pression à son successeur, voire influencer le verdict du procès de son fils Karim, poursuivi par la justice sénégalaise pour « enrichissement illégal ». Bien que tout le pays ait condamné ces accusations de cannibalisme, c’est surtout la formule « descendant d’esclaves » qui fâche l’opinion publique.
Nombreux sont ceux qui voient dans cette attaque de Wade un savant calcul politique visant à nier toute légitimité à Macky Sall, celui qui l’a détrôné du pouvoir. Abdoulaye Wade n’ignore pas qu’au Sénégal, il est inconcevable qu’un « descendant d’esclave » prétende être chef d’Etat. A la lueur du scandale provoqué par cette formule considérée comme une injure, la société sénégalaise dévoile les traces du système esclavagiste qui la structurait en profondeur avant la colonisation européenne. Un système au sein duquel les « maccubé » (esclaves) étaient la caste la plus basse, en particulier dans le Fouta (nord du pays), région d’origine de l’actuel président, Macky Sall.
Pour mieux comprendre la tournure de l’affrontement entre les partisans de Wade et ceux de Sall, le journal Le Monde.fr du 20.03.2015, publie une enquête d’Amadou Ndiaye intitulée « Chez les esclaves de la famille du président sénégalais Macky Sall ». On y lit que les parents du président, outrés par les injures d’Abdoulaye Wade, tiennent à prouver qu’aucun membre de la famille n’est d’origine « maccubé » (esclave). Les Sall affirment leur ascendance « ceedo » (guerrière), quitte à montrer les esclaves qu’ils possèdent encore. Une forme d’esclavage adossée à un système de caste perdurerait-elle au Sénégal, en plein XXIe siècle ?
Selon Le Monde.fr, au village de Ndouloumadji Founaybé, Djiby Sall, cousin du président, déclare : « Wade a tout faux sur notre famille. Nous sommes de grands propriétaires terriens. Nous avons des esclaves partout dans le Fouta ». Furieux, il dénonce des insultes qui cherchent à « jeter le discrédit et la honte » sur toute sa lignée. D’une voix tremblante, il s’indigne : «Ici, au Fouta, tout le monde se connaît. Allez demander si nous sommes des “maccubés” ! (membres de la caste des esclaves) ».
Le chef du village, Ibrahima Ly, est lui aussi très en colère : «La famille de l’actuel président de la République fait partie des nobles (…) ici tout le monde le sait. Jamais un “maccudo” (esclave) ne pourra se présenter pour diriger quoi que ce soit. Parce que ce n’est pas son rôle (…) Abdoulaye Wade n’a qu’un souci, c’est de faire libérer son fils… ». Pour prouver sa bonne foi, le chef autorise Lamine Dia, un homme de 60 ans, à laver les accusations portées contre son « maître » : « Je ne m’en cache pas… Mon père a été l’esclave du père de Macky Sall. Le grand-père de Macky nous a donné des terres que nous cultivons pour vivre. ». Meurtri, scandalisé, le “maccudo” se dit même prêt à mourir pour laver l’honneur des Sall : « Je donnerai ma vie pour mon maître ».
Le contributeur du journal Le Monde.fr rapporte qu’au village de Nguidjilone, la famille maternelle de Macky Sall tient aussi à ce qu’on sache qu’elle descend des Seebés, la caste guerrière du Fouta, qui fait partie de la petite noblesse. « les Seebés refusent de se marier avec les Maccubés (esclaves)!», proteste-t-on.
Macky Sall est né à Fatick en 1961 de parents Peuls. Il s’engage en politique avec le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) d’Abdoulaye Wade, dont il sera le Premier ministre. Il devient Président du Sénégal en 2012, mettant fin à 12 ans de « règne » d’Abdoulaye Wade.
Tout ce bruit n’a pas empêché la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) de condamner Karim, fils d’Abdoulaye Wade, à six ans d’emprisonnement et 138 milliards de francs CFA (209 millions d’euros) d’amende. Il était accusé d’avoir illégalement acquis 178 millions d’euros grâce à des montages financiers quand il était conseiller puis ministre de son père. Selon l’accusation, son patrimoine comprend des sociétés au Sénégal et à l’étranger, ainsi que des comptes bancaires, des propriétés immobilières et des voitures.
Cette polémique inattendue, qui met à vif les réseaux sociaux au pays de Léopold Sédar Senghor (créateur avec le poète martiniquais Aimé Césaire du courant de la Négritude), n’a pour l’instant suscité aucun commentaire aux Antilles.
Kitékunta Kanté (Creoleways)