6 Février 2015
J'écoutais ce matin le chansonnier Canteloup, sur Europe I dans son numéro, inégal, de satire amusante.
C'est ainsi que j'ai su qu'aujourd'hui, 06 février Christine Boutin a 70 ans. L'amuseur, apparemment bien luné ajoutait : « elle est pas mal, Christine Boutin. Elle ne fait pas du tout son âge » ( ce qui est vrai ). Mais attention, in cauda venenum, il ajoute : « évidemment c'est pas pareil pour ses idées ».
L'animatrice de l'émission, Julie Leclerc, rarement épargnée elle aussi, éclate de rire, et commente, je résume : « évidemment c'est une vacherie, mais c'est aussi la règle du jeu », et elle a raison, c'est la règle du jeu d'une émission satirique, et Canteloup est drôle, assez souvent.
Si l'on voulait être sérieux on pourrait rétorquer à nosthromme, qu'il y a des « vieux » à la pensée agile, et souples comme des gardons; et des jeunes fades et sclérosés, comme un Charlie.
Quelques milliers de jeunes ont été mes élèves. Ils savent que je les ai apprécié, non en tant que « jeunes », mais en tant, pour moi, qu'esprits à éveiller ( philosophiquement, mais aussi physiquement, surtout les lundi matin ! ), à sortir de la fameuse « caverne de Platon », où tous nous avons mijoté, nous nous sommes vautrés dans le « tout fait » dans le conformisme social, ( et la famille elle-même transmet les automatismes qui permettent l'adaptation au monde, même quand les valeurs de ce « monde » sont les plus misérables et abjectes. Eveiller les jeunes des fantasmes du conformisme, leur faire entrevoir que la vérité ( dans la mesure où celle-ci peut être, même partiellement, dégagée de la gangue sociale, de l'impensé de la bête – encore Platon - ! ) est toujours le fruit d'un doute méthodique préalable à tout choix provisoire et révocable, tel est la vocation d'un Socrate, et de tout professeur de philosophie ( humble, s'il est conscient de sa fragilité d'homme ) digne de ce nom.
J'ai apprécié aussi " mes" jeunes comme un défi permanent contre ma propre éventuelle sclérose intellectuelle, toujours prête, celle-là, à m'engloutir dans le confort et la suffisance intellectuels.
Oui, sous réserve de ce que je viens de dire, c'est un beau métier que celui de philosophe, ami ( Philos : ami ) de la sagesse ( sophia : sagesse ), cette sagesse dont la vanité est la mortelle ennemie, ce qui faisait dire au savant Socrate : « ce que je sais, c'est que je ne sais rien ». Paradoxe bien sûr, mais éminemment sage.
J'aime la jeunesse, non point par ce conformisme tellement actuel ( où se vautrent les marchands d'illusions, et/ou les agents publicitaires et les politichiens ( non les vrais « politiques » très rares ), mais en tant qu'elle est « matière » où insuffler l'esprit, du moins un peu de pensée vraie et d'esprit.
J'aime donc en ceci la jeunesse, mais non à la manière des démagogues de tout temps et du nôtre, c'est-à-dire comme pur objet à modeler selon leurs intérêts du moment.
Le jeunisme n'est pas mon fort. Je me référerai ici, au grand Fédérico Fellini, grand metteur en scène, auteur, notamment de la Dolce Vita ( avec la grande anita Ekberg, et Marcello Mastroïani ) ou encore de La Strada, avec Antony Quinn et l'inoubliable Giuletta Massina.
Fellini n'était pas un esprit ordinaire. Que nenni! Et c'est lui, qui, peu avant sa mort dans une interview du 05 mai 1990 déclarait au Figaro-Magazine : «Le culte des jeunes est l'une des plus répugnantes lâchetés de notre époque ( … ). Je me demande quelle espèce de maléfice a pu frapper notre génération pour que, soudainement, on ait commencé à regarder les jeunes comme des messagers d'on ne sait quelle vérité absolue! Seul un délire collectif peut nous avoir fait considérer comme des maîtres, dépositaires de toutes les vérités, des garçons de quinze ans ».
Délire? Peut-être pour certains. Mais pour d'autres : tactique, offensive bien calculée, pour couper les jeunes de tout passé d'enracinement, y compris, dans ce passé, de l'apprentissage de cette philosophie, raisonnante et critique, et « plurielle » pour parler le jargon jospinien-socialo-trotskyste, ou libéralo-libertaire à la Charlie ( Hebdo ).
Tous mes anciens apprentis philosophes n'ont peut-être pas oublié la leçon de liberté intellectuelle, que j'essayai de leur donner ( cahin-caha ).
Aux « p'tits jeunes » d'aujourd'hui qui parcourraient ces lignes, je ne peux que dire : prenez garde, prenez garde aux joueurs de flute de Hamelin. Attention aux racoleurs qui vous caressent le col. Ils ne rêvent que de vous enrégimenter. Non point à la façon des anciens totalitarismes du siècle précédent, en uniforme et au pas de l'oie, devant la Porte de Brandebourg, ou sur la Place Rouge, mais au nom de la liberté sans frein du libertarisme.
Mais qu'est-ce que la liberté sans une « vérité » fondée en raison et soumise à la critique, méthodique toujours, alors même qu'on s'en réclame, qui la guide, une vérité comme une étoile polaire dans la nuit du marin.
On a dit « la vérité vous libérera ». J'ose à peine dire que cet adage est la parole de Jésus rapportée dans les Evangiles, tant un certain laïcisme, propagande éhontée de marchands d'orviétan rend difficile une si noble, et vraie référence.
Peut-être, la même idée sera-t-elle davantage considérée si elle émane d'un philosophe qui passe pour athée, et qui le proclame, urbi et orbi, je veux parler de Nietzsche. Il écrivait « Ne me dis pas de quoi tu es libre. Mais en vue de quoi tu es libre ».
Et en effet le bateau libéré de la corde qui l'attachait à la bite d'amarrage, s'il n'est pas dirigé par un capitaine compétent, va librement, c'est-à-dire,en fait, au hasard sur la mer des incertitudes et vers l'échouage, plus ou moins dramatique.
Nous voici de nouveau face à l'image de l'étoile polaire.
Mais l'étoile polaire de la morale, de la politique, de nos plus ou moins pauvres vies d'homme, où est-elle? Qui nous la montrera?
C'est une question qui vaut bien qu'on la prenne au sérieux, autant et même davantage que celle de la plus ou moins grande crédibilité de la loi Macron, où de la réforme territoriale.
Nos jeunes ont besoin de repères, disons-nous, en choeur.
Et NOUS ?
Le Scrutateur.