25 Novembre 2014
FIGAROVOX/ANALYSE - Alain Juppé n'a pas cherché à convaincre les militants UMP qu'il avait face à lui à Bordeaux, regrette Guillaume Perrault, grand reporter à FigaroVox et au Figaro.
Il n'est jamais plaisant, pour une personnalité politique, d'affronter une salle hostile. Surtout si l'auditoire est composé d'adhérents de son propre parti. Pour autant, les commentaires indignés qui ont suivi le charivari du meeting UMP de Bordeaux prêtent à sourire. Ce discours moralisateur - huer Alain Juppé, c'est pas bien» - domine la vie publique et nous renseigne sur l'air du temps.
« Il n'y a pas de politique sans passions. »
Il n'y a pas de politique sans passions. C'est le droit le plus strict d'un militant qui honore assez la démocratie pourse rendre à une réunion publique au lieu de rester chez soi de manifester sa désapprobation envers l'orateur s'il le souhaite. Notre histoire politique regorge de meetings houleux. Ce sont souvent les plus marquants.
Le 4 juillet 1992, pendant la campagne passionnée en vue du référendum sur le traité de Maastricht, Jacques Chirac a été copieusement hué par les cadres du RPR réunis au Palais des congrès à Paris lorsqu'il a pris parti pour le oui. L'assistance, acquise en très grande majorité au non, avait ressenti la position de Chirac comme une trahison. L'intéressé faillit alors perdre le contrôle du mouvement gaulliste. À cette époque déjà lointaine, les adhérents d'un parti pouvaient encore exprimer leur dissentiment sans se faire tancer par les journalistes comme des écoliers mal élevés chapitrés par une institutrice.
« Curieuse époque, qui rêve désormais d'un débat public aseptisé et sans conflits, aussi feutré qu'une discussion de salon entre hommes du monde sous la monarchie de Juillet. »
Curieuse époque, qui rêve désormais d'un débat public aseptisé et sans conflits, aussi feutré qu'une discussion de salon entre hommes du monde sous la monarchie de Juillet, méfiants envers les passions populaires. Comme si avoir des sentiments et les exprimer fortement était irrationnel. Il n'y a pourtant pas de démocratie vivante sans émotions, sans croyances communes et sans affrontements. Un meeting, ce n'est pas une réunion de copropriétaires. C'est un rite. Tout orateur qui choisit de monter à la tribune sait qu'il devra peut-être affronter un auditoire hostile.
Dans les années 1870, Léon Gambetta, surnommé «le commis voyageur de la République», était un virtuose des réunions publiques contradictoires. Il jugeait tout naturel d'être vivement apostrophé et interrompu. Aujourd'hui, au premier incident, un orateur se dit outragé et prend la pose flatteuse de la victime. Pour un peu, les partisans de Juppé pousseraient le ridicule jusqu'à exiger des excuses de Sarkozy au nom du «droit au respect».
Il est pourtant aisé de voir le profit politique que Juppé retire de ces huées. Voilà l'homme droit dans ses bottes célébré de toutes parts. La force des images a suffi pour le présenter en héros qui a tenu tête à la plèbe déchaînée. Les militants UMP sont presque décrits comme des nervis ou des factieux.
En réalité, ils n'ont fait que manifester leur souhait de désigner eux-mêmes le candidat de leur parti à la présidentielle, alors que la primaire ouverte les ravalerait au rang d'hommes-sandwichs d'un champion choisi par d'autres. Quoi qu'on pense du sujet, est-ce une opinion scandaleuse? Se taire et coller des affiches en silence sera-t-il bientôt le seul droit encore concédé aux trop rares adhérents des partis politiques?
Le seul reproche qu'on peut adresser à l'assistance du meeting UMP de Bordeaux, en définitive, c'est d'être restée trop sage. Face aux sifflets, Alain Juppé s'est contenté de hausser la voix et de réaffirmer sa position. Il n'a nullement cherché à convaincre ses contradicteurs. Une salle plus véhémente l'aurait contraint à riposter en donnant le meilleur de lui-même et en se livrant à un plaidoyer argumenté et vibrant en faveur des primaires ouvertes.
« Rien de plus beau que l'effort conquérant d'un orateur pour retourner un auditoire mécontent. »
Rien de plus beau que l'effort conquérant d'un orateur pour retourner un auditoire mécontent. C'est ce que Léon Blum, alors président du Conseil, avait réussi le 6 septembre 1936 lors d'un célèbre discours de cinquante minutes devant les militants rassemblés par la fédération socialiste de la Seine au stade de Luna-Park. La guerre civile dévaste alors l'Espagne. Et, ce jour-là, Léon Blum affronte ses camarades, déçus que la France ne livre pas des armes aux républicains espagnols. Il répond à l'accusation de «trahison» lancée par certains à gauche, fait part de son déchirement intérieur, mais défend sa politique de non-intervention en Espagne. Impressionnée par tant d'efforts pour la convaincre, la foule finit par l'ovationner. De ce corps à corps entre un orateur et une assistance d'abord méfiante, nous avons hélas été privés samedi soir.
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Photographie : La UNE des Inrockuptibles à Alain JUPPE. Les Inrockuptibles sont le journal de la banque Lazare et de la haute finance, et de Mathieu Pigasse.