Le décès de Leslie Manigat.

Notre ami Louis Dessout nous informe du décès de Leslie Manigat.

LS.

Tristesse devant la perte de ce remarquable homme d'État, qui nous recevait à dîner le 19 juin !988,dans sa résidence présidentielle, en compagnie du jury guadeloupéen du bac français en Haïti, quelques heures avant le coup d'état des militaires haïtiens. Nous avons une pensée émue et attristée pour son épouse et particulièrement pour leur fille, adolescente, dont j'ai supervisé. quelques jours après, dans la cadre de mes responsabilités diplomatiques, son accueil et la poursuite de sa scolarité à Paris.

LD

Leslie Manigat

Historien et politologue renommé, éphémère président d'Haïti, mal élu en janvier 1988 avant d'être renversé cinq mois plus tard par un coup d'Etat miiitaire, Leslie Manigat est mort le Ier juin à Port-au-Prince à 83 ans, après une longue bataille contre le cancer, rendue plus dure au cours des derniers jours par le virus du chikungunya. Il fut l'un des intellectuels haïtiens les plus brillants de la deuxième moitié du XXe siècle, mais sa réputation a été entachée par la tentation du pouvoir.

Il reconnaissait à la fin de son existence que le rapport entre la politique et la vie intellectuelle avait été le grand drame " de sa vie. " Si j'étais resté en France, je serais resté historien politologue. C'est à cause d'Haïti que j'ai dû engager la bataille politique ", confiait-il en 2004 au quotidien de Port-au-Prince Le Nouvelliste, dont il fut un collaborateur réguli er durant près d'un demi-siècle.

Leslie Manigat est né le 16 août 1930 à Port-au-Prince, dans une famille d'enseignants originaire du nord d'Haïti. Enfant, il a connu l'opulence de sa famille paternelle et les fins de mois difficiles avec sa mère, qui s'entendait ma! avec sa belle-famille après son veuvage précoce. " Cette enfance contrastée "avait développé en lui un esprit de sagesse ", disait-il. Tête de classe au collège réputé de Saint-Louis de Gonzague. à Port-au-Prince, il décroche en 1948 une bourse pour étudier à Paris, où il obtient la licence en lettres mention histoire, le diplôme d'études supérieures de la Sorbonne, et le diplôme de l'institut d'études politiques. De retour en Haïti, Leslie Manigat soutient en 1957 fa candidature de François Duvalier dont il partage les idées " noiristes " (exaltant les racines, dans le langage politique des Caraïbes) et nationalistes.

Il est nommé fonctionnaire aux affaires étrangères, enseigne à l'Ecole normale et publie son premier ouvrage, Le Délicat Problème de la critique historique. Ses relations ne tardent pas à se détériorer avec le dictateur " Papa Doc ", qui l'accuse de fomenter une grève d'étudiants. Brièvement emprisonné, il part en exil en 1963 aux Etats-Unis, en France, à Trînîté et-Tobago et au Venezuela_; où il enseigne les relations internationales et les sciences politiques dans de prestigieuses universités. En 1979, il fonde à Caracas le Rassemblement des démocrates nationaux progressistes (RDNP), un parti se réclamant de la démocratie-chrétienne, qui dénonce la dictature duvaliériste. Rentré en Haïti peu après la chute de Jean-Claude Duvalier, le 7 février 1986, il se présente à l'élection présidentielle du 29 novembre 1987, interrompue par un bain de sang provoqué par les militaires et les " tonton macoutes ".

Un nouveau scrutin, organisé par les militaires, marqué par une fraude massive et boycotté par la population, le porte au pouvoir !e 7 février 1988. Il croit, à tort, pouvoir jouer au plus malin avec les généraux Henri Namphy et Williams Regala, alliés aux duvaliéristes. Sans appui de la communauté internationale, qui condamne tes violences et la fraude, traité de marionnette par l'opposition, il est renversé le 20 juin, cent trente-trois jours après sa prestation de serment, par le général Namphy, et se réfugie à Saint-Domingue. Charmeur et bon vivant

De nouveau candidat à la présidence en 2006, Leslie Manigat est battu par René Préval. Mauvais perdant, il dénonce " un coup d'Etat par les urnes " et explique sa défaite " par la misère du peuple, qui s'est trompé ". Ce sera sa dernière tentative, avant de passer le flambeau à son épouse, la juriste Mirlande Manigat Arrivée en tête au premier tour de l'élection présidentielle de 2010, celle-ci est devancée au second tour par le chanteur Michel Martelly, l'actuel président.

A la fin de sa vie, Leslie Manigat disait ne plus lire les journaux ni écouter les radios tant il était tourmenté par ce qu'il appelait " la décadence et la déchéance " d'Haïti. Formé à l'école des Annales, il était intarissable sur l'histoire de la première république noire, un petit pays qui, disait-il, "a gagné la bataille de l'égalité des races humaines avant la décolonisation » comparait avec amertume l'épopée des pères fondateurs avec les échecs des combats pour la démocratisation et la modernisation d'Haïti.

Charmeur, bon vivant et galant homme, Leslie Manigat détestait la " médiocrité triomphante " et mettait sur le compte de ia jalousie les critiques de ceux qui le jugeaient pédant, arrogant. Un peu à la manière de Raymond Aron, cet intellectuel boulimique estimait avoir été victime de son refus d'embrasser le marxisme à une époque où cette idéologie dominait la vie intellectuelle.

Jean-Michel Caroit 16 août 1930

Leslie Manigat.

Naissance à Port-au-Prince 1Q88

Président d'Haïti du 7 février au 20 juin 27 juin 2014 Mort à Port-au-Prince - ©Le Monde